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Vision

TRI-VIZOR à propos de la logistique de demain

À la requête de Buildwise, KPMG a identifié l’an dernier les 10 mégatendances qui se dessinaient dans le secteur de la construction. Batichronique les soumet une à une à l’œil critique d’une partie qui a un avis tranché sur la question. Dans cette édition, TRI-VIZOR nous livre son éclairage sur la mégatendance suivante : « une percée dans la chaîne logistique est plus que jamais nécessaire pour offrir un plus haut degré d’efficacité et de sécurité ». Premier « chef d’orchestre de chaînes logistiques croisées » au monde, cette entreprise nous brosse un tableau original et innovant de la manière dont la construction – et, par extension, d’autres secteurs – devraient optimiser l’organisation de leur logistique dans la ville de demain.

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TRI-VIZOR

Batichronique : Qui est TRI-VIZOR exactement ?

Alex Van Breedam : « Nous nous positionnons comme une partie neutre spécialisée dans la mise en place de collaborations entre les entreprises sur le plan logistique. Notre objectif : créer un ‘internet physique’ axé sur la coopération, le clustering, la mise en commun et le partage. La ‘logistique urbaine’ est l’un de nos principaux domaines d’intervention. Nous avons élaboré à cette fin un concept de partenariat public-privé qui s’adresse également – et peut-être même plus particulièrement – à la construction. Le Pacte vert entraînera en effet la nécessité d’entreprendre des travaux de construction et de rénovation colossaux dans les années à venir, surtout dans les environnements urbains. »

Bart Vannieuwenhuyse : « Il ne sera pas simple d’organiser les flux logistiques nécessaires pour y parvenir. Faute de place sur les chantiers, on s’accroche actuellement au modèle du flux tendu. Malheureusement, il ne sera pas tenable dans nos villes toujours plus encombrées. Un retard de livraison peut mettre en péril le planning tout entier et, par conséquent, transformer les clauses de pénalité pour livraison tardive en autant d’épées de Damoclès pour les entrepreneurs. Bref, le secteur doit trouver de toute urgence une autre manière d’organiser sa logistique. KPMG en convient d’ailleurs dans son rapport sur les mégatendances. Notre concept répond parfaitement à ce défi, qui est d’ailleurs loin de se limiter au monde de la construction. » 

Batichronique : Ce concept a-t-il quelque chose à voir avec l’électrification du parc automobile ?

Bart Vannieuwenhuyse : « Pas du tout, car l’électrification ne résout pas le problème des villes engorgées. Cependant, le législateur la considère souvent comme la solution ultime pour la mise en œuvre de sa politique de durabilité, tant et si bien que le secteur de la construction se prépare de fait à une électrification complète de sa flotte (de camions). Nous pensons d’ailleurs que les transporteurs de béton pourraient jouer un rôle clé dans ce contexte. Comme le béton doit être coulé dans les 100 minutes, les distances à parcourir sont limitées. Les 300 km d’autonomie moyenne des camions électriques actuels étant parfaitement compatibles avec cette réalité, il ne faudrait prévoir ni capacité de charge supplémentaire ni espaces dédiés hors des murs de l’entreprise. Pour les autres transports, l’électrification nécessite en revanche un changement fondamental du planning de livraison du fait de l’autonomie limitée. »

Alex Van Breedam : « L’électrification rendra la ville de demain plus vivable en termes de bruit et d’émissions, mais le problème de mobilité ne fera qu’augmenter. Nous savons aujourd’hui que l’e-commerce a atteint son point de saturation. Les chercheurs affirment que nous continuerons à effectuer 75% de nos achats physiquement. Parallèlement s’est fait jour une nouvelle évolution qui est nettement plus néfaste pour la mobilité en ville : nous étalons nos achats sur la semaine. Au lieu de nous rendre au supermarché tous les samedis, nous achetons en petites quantité dans le magasin de quartier. Le taux accru de télétravail a encore renforcé ce phénomène. Résultat : le transport augmente puisqu’il faut réapprovisionner ces plus petits points de vente situés au centre-ville, parfois même plusieurs fois par jour. Selon le Bureau du Plan, le transport augmentera de plus de 20% entre 2020 et 2040. Cette évolution n’est en aucun cas liée à un accroissement démographique ou à une hausse de la consommation, mais bien à une fragmentation des flux logistiques. Les villes n’en seront que plus congestionnées et il deviendra quasiment impossible aux entreprises de construction, notamment, d’acheminer les matériaux vers les chantiers de façon rentable. »

Bart Vannieuwenhuyse : « Diverses initiatives tendent certes à écologiser la circulation de biens dans les centres urbains, comme la livraison de matériaux de construction et autres produits en tous genres par coursiers à vélo. Sans grand effet, car cette capacité de transport est très limitée. Il faut déjà un sacré nombre de trajets pour égaler la capacité d’une grande camionnette. Cela fait donc à la fois grimper les coûts et exploser le nombre de trajets parcourus en ville. Des centaines de coursiers à vélo sur la route ne résoudront pas le problème de mobilité… Une solution nettement plus durable et efficace consisterait à faire collaborer producteurs et détaillants pour remplir complètement les camions et camionnettes et/ou partager certains entrepôts. Dans une phase suivante, ils évolueraient vers une solution qui ferait réellement la différence : un centre logistique à la périphérie de la ville. Nous plaidons donc pour que l’accent repose non plus sur l’élimination des émissions liées aux flux de transport croissants, mais bien sur la réduction radicale de ces derniers. Or, cette solution ne peut passer que par le ‘découplage’ de la chaîne logistique. »

Batichronique : Qu’entendez-vous par découplage ?

Bart Vannieuwenhuyse : « Pour faire court, il s’agirait d’un ou plusieurs hubs communs installés en périphérie de la ville et d’où seraient organisés des ‘services de navette’. Des camions légers ou des camionnettes acheminent les matériaux en flux tendu, à la demande et sur de courts trajets, vers les chantiers concernés de tel quartier ou telle zone de la ville. Il ne s’agit donc pas de parcourir des ‘itinéraires’ de dix arrêts ou plus, car ce serait contreproductif : les dernières livraisons du parcours arriveraient de toute façon en retard à cause des embarras de circulation. Comme indiqué précédemment, la coopération est au cœur de notre concept. Les fournisseurs stockent conjointement leurs marchandises en périphérie de la ville et les livrent conjointement sur les chantiers à bord de camionnettes ou de petits camions entièrement chargés. On pourrait même aller plus loin en impliquant également des entreprises étrangères au secteur de la construction. En théorie, il est parfaitement possible de transporter des boissons, des produits de nettoyage ou d’autres marchandises dans la même cargaison. Ajoutons que de nouvelles perspectives s’ouvrent pour une logistique ‘gérée par le fournisseur’, où ce sont les producteurs/distributeurs qui aident les entrepreneurs à gérer leurs stocks pour éviter les commandes de dernière minute. Concrètement, il peut par exemple s’agir de matériaux de construction sur palettes – comme des briques ou des tuiles – qui sont livrés en fonction des besoins réels et dont le fournisseur surveille en permanence la consommation en temps réel sur le chantier. »

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TRI-VIZOR

Alex Van Breedam : « Ce type de ‘hub de construction’ offre l’avantage de pouvoir être localisé à proximité d’une voie d’eau et/ou d’une voie ferrée, permettant ainsi le transport multimodal des livraisons. Il est en outre tout à fait possible d’y héberger d’autres activités, comme des services d’assemblage et de maintenance, de la fabrication légère, du reconditionnement ou – dans le cadre de la circularité – le nettoyage ou la réparation de certains éléments de construction. Dans un scénario idéal, on imagine une sorte de ‘cercle’ autour de la ville incluant un vaste programme de fonctions et reliant les divers hubs urbains. Les marchandises pourraient aussi être repositionnées facilement grâce à un ‘itinéraire circulaire’. Le ‘hub de construction’ serait ainsi étendu à d’autres secteurs et éventuellement complété par d’autres activités compatibles, comme l’agriculture urbaine. » 

Batichronique : Vous parlez presque d’un réaménagement complet de la ville. Est-ce faisable dans la pratique ?

Alex Van Breedam : « C’est un processus qui se déploiera sur une période de plusieurs années, voire décennies. Les villes et communes devront commencer petit, en se limitant peut-être à un certain type de hub. La construction nous semble être un secteur idéal pour débuter, ne serait-ce que par sa taille et par la complexité du respect des délais de livraison sur les chantiers. Malheureusement, c’est un petit monde fermé et traditionnel, où règne une grande compétitivité. La coopération y est tout sauf une priorité pour l’heure, et l’intérêt pour un changement organisationnel de la logistique y est encore très timide. » 

Batichronique : À quelles résistances se heurte votre concept ?

Bart Vannieuwenhuyse : « Aujourd’hui, quasiment tous les secteurs tentent d’optimaliser leur logistique en réduisant le nombre de maillons dans la chaîne et en limitant les stocks au strict minimum. Or, nous rendons le processus logistique – à première vue – plus complexe en y ajoutant une plateforme supplémentaire sur laquelle les concurrents doivent stocker et distribuer collectivement leurs marchandises. De quoi déclencher tout logiquement une réaction négative, inspirée par la crainte de coûts plus élevés, de difficultés croissantes, d’une charge administrative plus importante, des risques de dégâts … Cette approche, pourtant, offre de multiples avantages : la rentabilité de chaque trajet augmente considérablement grâce à un chargement maximal et à des temps d’arrêt réduits au minimum, les vols sur chantier appartiennent désormais au passé, les livraisons de dernière minute deviennent parfaitement possibles… La consolidation permet de partager les coûts de stockage, de manutention, de livraison et d’infrastructures en tous genres. Les lois économiques commencent par ailleurs à jouer, offrant probablement aux entrepreneurs la possibilité de négocier de meilleurs prix. Le découplage dans un hub urbain facilement accessible en périphérie de la ville permet de rentabiliser l’approvisionnement et de cibler soigneusement la distribution finale – la livraison aux chantiers. L’efficience et l’efficacité ou le service à la clientèle peuvent donc aller parfaitement de pair ! »

Alex Van Breedam : « Les acteurs concernés se posent également la question – légitime – de savoir qui devra organiser tout cela. Ce protagoniste devra de toute façon être neutre : des concurrents qui construisent des entrepôts sur le même site industriel en périphérie de la ville seront peu enclins à coopérer. L’expérience nous l’a déjà maintes fois montré. Un ‘chef d’orchestre’ s’impose pour mener à bien toutes les opérations. En théorie, ce rôle pourrait très bien être confié à un prestataire de services logistiques ou à une autre entreprise, mais nous pensons que ce type de hubs devrait plutôt être mis en place par les villes elles-mêmes. C’est la seule solution pour créer une plateforme vraiment ouverte et neutre, qui soit accessible à tous les acteurs et leur garantisse un win/win. C’est d’autant plus vrai dans le contexte de la ‘ville du futur’, où les flux de transport seront plus strictement réglementés en termes d’horaires et d’itinéraires. Les participants au ‘hub de construction’ pourraient par exemple se voir octroyer davantage de privilèges sur ce plan. Ce n’est d’ailleurs pas un scénario imaginaire. Les villes scandinaves sont déjà plus réceptives à ce concept aujourd’hui. En ce moment, par exemple, nous participons à la mise en place d’un centre de consolidation ouvert et neutre dans une grande ville de Scandinavie. » 

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Batichronique : Les villes et communes ne manquent-elles pas de l’expertise nécessaire pour ce faire ?

Bart Vannieuwenhuyse : « Presque partout, l’accent reposait exclusivement jusqu’il y a peu sur l’optimalisation de la mobilité des personnes. Aujourd’hui, la mobilité des marchandises bénéficie d’une attention croissante. Les villes, en particulier les grandes agglomérations, forment certains fonctionnaires à cette question. Bien entendu, cela ne suffit pas pour assumer le rôle de ‘chef d’orchestre de hub’ à court terme. C’est pourquoi nous prévoyons une évolution vers des partenariats public-privé dans lesquels les villes soutiendraient des partenaires privés, par exemple en adaptant leur politique de permis ou, à un niveau supérieur, en concédant des terrains et des immeubles, en supportant les coûts de l’expropriation de certains bâtiments, en établissant des règles de distribution privilégiant les partenaires du hub, en attirant des parties pour remplir les autres fonctions…

Batichronique : Y a-t-il assez de place pour la création de tels hubs ?

Alex Van Breedam : « Nous pensons qu’il y a suffisamment d’espace en effet, même dans une Belgique fortement urbanisée. Aujourd’hui, tous les entrepôts sont dispersés géographiquement. Leur regroupement permettrait une exploitation beaucoup plus optimale de l’espace disponible. Même chose pour les infrastructures, comme les embarcadères ou les voies ferrées. Seulement voilà, il faut un initiateur qui motive les entreprises à se regrouper dans un hub. C’est justement pour cela qu’il est si important que les pouvoirs régionaux endossent le rôle de ‘chef d’orchestre’. Quelques initiatives vont déjà dans ce sens et démontrent que cette approche fonctionne bel et bien. Paris, par exemple, a réservé une centaine de sites – vieux entrepôts, un cinéma et d’autres immeubles – pour en faire des hubs urbains. Ces bâtiments peuvent être loués à condition qu’au moins deux entreprises y consolident leurs marchandises. L’avenir sera peut-être à un réseau de divers hubs logistiques reliés entre eux de manière fluide. Les hubs urbains implantés en périphérie livreraient alors à des micro-hubs et/ou nano-hubs situés dans les quartiers ou zones respectifs, qui serviraient à leur tour de points d’enlèvement… »

Batichronique : Le rapport de KPMG parle aussi de reshoring et de nearshoring. Cette tendance cadre-t-elle avec votre concept ?

Alex Van Breedam : « Nous constatons en effet que les entreprises rapatrient en Europe une partie de leur production depuis le Covid. Nous n’assistons pas là à un changement substantiel, mais plutôt à une répartition des risques qui consiste à fabriquer/acheter 10 à 20% plus proche. Une évolution que nous qualifions de positive dans le sens où elle crée une livraison alternative, un plan B en cas de calamités, mais aussi moins de stress sur le plan de l’approvisionnement. D’autre part, elle fait grimper les coûts et baisser les marges. De plus, cette différenciation ajoute un niveau de complexité supplémentaire à la chaîne de construction, car les livraisons s’effectuent au départ de différents sites de production. Le hub urbain peut déjà assurer la consolidation de ces flux différenciés de marchandises. Il garantira en outre une plus grande sécurité de livraison, qui pourra faire toute la différence en termes de fidélisation de la clientèle dans ce secteur hautement concurrentiel. »  

Batichronique : Le secteur de la construction recourt de plus en plus souvent aux modules préfabriqués, acheminés sur place par convoi exceptionnel. À quel point est-ce compatible avec l’idée d’un hub de construction ?

Alex Van Breedam : « Les maisons préfabriquées qui sont transportées dans leur intégralité ou par pans entiers me semblent à première vue inadaptées à un environnement urbain. Les convois exceptionnels doivent rester exceptionnels… Les infrastructures urbaines ne se prêtent pas à l’utilisation fréquente de ce mode de transport. D’après notre expérience, le hub urbain pourrait aussi servir de lieu de préparation des éléments de construction en vue de leur utilisation définitive sur les chantiers. » 

Batichronique : Auriez-vous un dernier message à transmettre au secteur de la construction ?

Bart Vannieuwenhuyse : « La logistique dans la ville de demain nécessitera un changement de mentalité de la part de tous les acteurs du secteur de la construction. Des déclencheurs externes devront encourager les entreprises à penser et agir autrement. Là encore, la coopération sera le maître mot. La tâche peut sembler ardue, mais les opportunités sont immenses. Le tout, c’est que chaque ‘partie prenante’ soit impliquée et pleinement engagée dans le processus. Organisations et pouvoirs publics devront unir leurs efforts pour motiver le secteur tout entier à organiser autrement sa logistique. Notre philosophie préconise que les fédérations professionnelles engagent proactivement le dialogue avec les villes. C’est ainsi que la transition logistique pourra devenir une évolution positive au lieu d’une obligation – comme c’est le cas pour l’électrification et les zones à faibles émissions. Ce n’est qu’en écrivant l’histoire ensemble que les intéressés en sortiront tous gagnants. »

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TRI-VIZOR

Shopping mains libres

Le hub logistique en périphérie de la ville ouvre également la voie à une tout autre forme de shopping (qui, à son tour, peut avoir des incidences sur la construction). Dans ce modèle, les magasins proprement dit n’auraient plus de stock : ils ne serviraient qu’à exposer et faire découvrir les marchandises. Les consommateurs achètent, mais n’emportent rien. Ils se rendent ensuite, en transport en commun ou à pied, dans le hub où leur voiture est garée. Arrivés sur place, ils n’ont plus qu’à récupérer les achats qui les attendent, bien rangés. Toutes les marchandises du magasin ont en effet été stockées dans un dépôt commun du hub. Ce dernier pourrait même proposer des services supplémentaires, comme la retouche ou le repassage des vêtements achetés, ou encore la réception des retours. 

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