«Si la législation avance plus vite que le secteur, nous nous ferons écraser par nos concurrents étrangers»
La Chronique donne la parole à un(e) CEO ou dirigeant(e) actif/ve dans le secteur belge de la construction au sens large. Cette semaine, c’est au tour d'Hugo Myncke, président d'IVP Coatings et directeur de Toupret Benelux, de répondre à nos cinq questions.
1. Intelligence artificielle, réalité virtuelle, énergie issue de l’hydrogène, drones, big data, impression 3D, etc. Quelle est, selon vous, la nouvelle technologie qui aura le plus grand impact sur votre entreprise dans les années à venir?
Selon moi, la digitalisation de nos moyens de communication va prendre de plus en plus d’ampleur. De plus, la réalité virtuelle fait aussi son bonhomme de chemin, notamment dans la formation: certaines écoles se sont d’ores et déjà dotées de lunettes VR pour apprendre aux élèves à peindre au pistolet ou à monter un échafaudage. Les drones sont également plébiscités car ils permettent aux entreprises de peinture d’inspecter un bâtiment afin de rédiger le devis le plus précis possible.
Et ces évolutions technologiques vont toucher tous les corps de métier de notre fédération: du peintre décorateur jusqu’au peintre industriel.
2. Vers quel métier de la construction les jeunes doivent-ils, aujourd’hui, orienter leur formation pour s’assurer une carrière intéressante et bien rémunérée dans le secteur de la construction: coffreur, menuisier, plombier...ou plutôt planificateur ou ingénieur?
Chaque métier du secteur de la construction vaut la peine d’être découvert. Que ce soit pour ressentir l’énorme fierté d’exercer ces métiers, pour la satisfaction que procure un travail manuel ou encore pour la rémunération avantageuse. Dans la construction, il y a des ouvriers qui creusent des fosses ou des puits. Mais si l’on voit ça d’un autre angle, ils font bien plus que cela: ils préparent peut-être la base d’un gratte-ciel qui hébergera des centaines de familles ou des centaines d’entreprises. Il peut donc y avoir un décalage dans la perception qu’a le grand public de ces métiers.
Ce qui est certain, c’est qu’on doit travailler sur ce décalage. Cela provoque une pénurie d’ouvriers qualifiés, ce qui nous oblige à les chercher en dehors de nos frontières. Et c’est extrêmement dommageable car qu’ils soient menuisiers, charpentiers, électriciens, peintres, plombiers ou encore chauffagistes, ils sont tous absolument essentiels pour le secteur.
3. La crise du coronavirus vous a-t-elle appris quelque chose que vous ignoriez sur votre entreprise?
Oui, et cela tient en un seul mot: la flexibilité. Je reste incrédule lorsque je me rappelle la manière avec laquelle mon entreprise et mes collaborateurs ont réagi face à tous ces bouleversements. Du jour au lendemain, ils ont dû travailler de la maison tout en s’occupant de leurs enfants. Et ils l’ont fait avec un professionnalisme remarquable.
Tout cela a également très fortement impacté le rôle du manager. Il est devenu beaucoup plus difficile pour lui de tenir son rôle. Aujourd’hui, un manager doit savoir motiver ses troupes et veiller au respect des deadlines à distance, ce qui est loin d’être un exercice facile. Cela nous a obligé à nous réinventer du jour au lendemain, et a provoqué l’avènement d’un nouveau style de management.
4. Quelle est, selon vous, la plus grande menace pour votre entreprise/secteur? La concurrence étrangère, la pénurie de personnel qualifié, les coûts salariaux? Autre chose?
La législation peut constituer un réel défi pour notre fédération et mon entreprise. Les réglementations européennes et locales changent à une telle vitesse que nous avons parfois du mal à les suivre. Il est absolument inutile de préciser à quel point je suis favorable au Green Deal et à toutes les réformes qui vont dans le sens de la protection de l’environnement. Mais on doit faire attention à ne pas aller plus vite que la musique. En effet, si la législation avance beaucoup plus vite que le secteur sur le plan de l’innovation, de la R&D ou sur le plan financier, nous nous ferons écraser par nos concurrents asiatiques ou américains. Il faut donc éviter que l’Europe ne s’isole à cause d’une législation trop exigeante qui entraverait les importations et les exportations.
Nous devons également nous protéger et voir si nous ne pourrions pas produire en Europe ou dans notre pays. Les dangers de la sous-traitance sont réels. Nous sommes aujourd’hui victime d’une grave pénurie de micropuces parce qu’elles sont produites à l’étranger. Notre secteur les utilise dans le matériel électroportatif comme les foreuses, les ponceuses ou encore dans les machines à projeter, qui sont, à leur tour, en rupture de stock. Et cet effet domino provoque des retards de fabrication et de livraison, impactant directement nos entreprises.
5. Les bâtiments sont-ils encore construits pour l'éternité ou leur attribuera-t-on bientôt une date d’expiration?
Aujourd’hui, nous ne construisons plus pour l’éternité car on doit être flexible et s’adapter aux besoins changeant de la population. D’ici un siècle, aura-t-on encore besoin d’un garage ou d’une place de parking devant la maison? Personne ne le sait. C’est pourquoi, il faut continuellement s’adapter et privilégier les constructions modulaires qui sont une solution de présent et d’avenir.