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Vision

Interview | Luc Eeckhout : « La vision actuelle de la durabilité est dépassée »

Il est maintenant clair que nous devons écouter l’appel à l’aide que nous envoie la planète. Pourtant, cela n’a guère de sens de prendre des mesures durables comme un poulet sans tête. Et c’est exactement là que réside le problème en ce moment : écologique et circulaire sont des adjectifs qui sont à tort et à travers. En conséquence, beaucoup d’efforts ratent la cible. L’architecte Luc Eeckhout veut réveiller le secteur de la construction et le gouvernement pour changer radicalement les choses...

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Batichronique : Votre postulat de départ est que les évolutions dans le monde ont depuis longtemps dépassé la vision actuelle de la durabilité. Pourriez-vous clarifier cela?

Luc Eeckhout : « L’alunissage de 1969 a secoué le monde pour la première fois. Les photos ont clairement montré que notre planète bleue est unique dans l’univers. Néanmoins, l’idée demeurait que les sources disponibles étaient inépuisables. Bref, l’homme compte sur les « éco-services » que la terre nous donne. Nous prenons ce dont nous avons besoin et jetons ce que nous ne pouvons plus utiliser. Cela conduit d’une part à l’épuisement et à la pénurie, et d’autre part à une pollution omniprésente.  Dans le passé, la terre était un système robuste avec beaucoup de nature qui essayait de compenser tout cela. Malheureusement, ce n’est plus le cas et plusieurs dirigeants mondiaux l’ont  compris. En conséquence, l’accent est mis sur une « utilisation plus prudente » des ressources naturelles, produisant moins de nouveaux produits et générant moins de déchets – le principe bien connu de circularité. Cependant, cela ne suffit pas à inverser la tendance, surtout si l’on considère également la croissance rapide de la population. Nousdevons également créer plus de nature pour compenser nos excès. Si nous ne le faisons pas, c’est un aller simple pour la  destruction de notre planète. L’inhabitabilité est un phénomène qui se répand rapidement, même dans nos régions. »

Batichronique : Que voulez-vous dire exactement ?

Luc Eeckhout : « Les derniers étés en sont un parfait exemple : notre  destination de vacances  chaleureuse se déplace vers nous. Idéal à première vue, mais les gens oublient qu’ils sont là au bord de la piscine. Pendant qu’ils doivent travailler ici, prenez soin des enfants... Nous réalisons progressivement qu’un grand nombre de bâtiments ne sont pas compatibles  avec le changement climatique.  Ils deviennent  « inhabitables » au sens large du terme. Les chambres et les chambres sont rendues inutilisables par la température élevée et. Ou les rues commerçantes sont vides parce qu’il fait trop chaud pour faire des achats agréables. Les dégâts commencent à s’accumuler dans divers domaines: économiquement, mentalement, physiquement. Un jour, nous nous réveillerons dans un pays qui ne ressemble plus du tout à ce que nous étions en termes de climat.  Nous devons nous y préparer  en adaptant  les bâtiments, les infrastructures et l’espace public à cela.  C’est un énorme défi que  nous devons aborder  structurellement et qui nécessitera beaucoup de changements, en particulier dans notre culture de construction. »

Batichronique : Comment voyez-vous ce défi?

Luc Eeckhout : « Comme mentionné précédemment, tout dépend de la création de plus de nature. Logiquement, nous pensons immédiatement à arrêter la déforestation et àabattre les jungles. Seul... Cette planète est maintenant si pleine qu’il est tout aussi important de fournir plus de verdure dans la « jungle de béton ». Les villes ont besoin de beaucoup plus d’arbres et de plantes. Et en même temps devenir aussi des biotopes où l’énergie ainsi que l’eau pure et la nourriture sont produites, bien sûr sans prendre de  place supplémentaire!  La pensée régénérative  est l’étape nécessaire pour une planète en difficulté. Concrètement, je préconise donc un mode de pensée qui part  de solutions réparatricesplutôt que  de simplement aborder les problèmes. "

Batichronique : Pouvez-vous clarifier cela ?

Luc Eeckhout : « Commençons par le terme qui apparaît aujourd’hui partout : circularité. Cela ne devrait pas devenir un mot à la mode, mais un déclencheur efficace pour réutiliser tous les composants du bâtiment. Les bâtiments se composent de plusieurs couches, chacune ayant sa propre durée ou son propre âge.  Dans notre bureau, par exemple, c’est le tapis qui s’use le plus vite.  C’est pourquoi nous avons opté pourdes dalles de  moquette qui permettent un remplacement local facile – grâce à leur collage dense – et qui sont ensuite entièrement recyclables.  Nous pouvons étendre cette façon de penser aux murs modulaires  qui peuvent être  déplacés rapidement ou enlevés.  De cette façon, vous pouvez concevoir toutes les couches séparément et  créer de grands kits de construction avec de nombreux composants réutilisables.  En travaillant avec des dimensions claires, vous pouvez même  utiliser une personnalisation unique d’une époque révolue.  Combien de belles portes massives sont jetées aujourd’hui pour les remplacer par de la peinture en carton?  Ce qui est formidable, c’est que dans un tel modèle circulaire, les producteurs n’ont plus besoin de  produire en masse pour garantir leur survie. Ils  devraient également moins s’inquiéter  de la rareté des matériaux ou des composants.  Lemodèle commercial de la réutilisation continue est tout simplement beaucoup plus solide que la méthode de travail traditionnelle. "

Batichronique : Ne parlez-vous pas de circularité telle que nous la connaissons ?

Luc Eeckhout : « Oui, mais l’indice réside dans l’ouverture plus large de ce concept. En considérant tous les composants comme des matières premières ou des composants de construction, les obstacles   à l’adaptation continue des bâtiments  ou à la fabrication ultérieure d’autres tombent.  On oublie parfois  que même les fonctions d’un bâtiment ne durent que cinq à dix ans. Les gens changent beaucoup et aiment le faire, mais les bâtiments actuels ne sont pas adaptés à cela. Nous devons oser refaire des bâtiments qui osent suivre la vie – humaine et commerciale. Concrètement, nous devons nous efforcer d’obtenir  des squelettes plus stables dimensionnellement qui peuvent être remplis  de composants circulaires  en fonction de la fonction changeante. Si vous souhaitez tous les inclure dans une base de données de matériaux, il est  possible de vérifier rapidement  ce qui peut être  utilisé ailleurs et ce qui doit être retourné au producteur car la durée de vie est terminée.  Nousavons tout ce dont nous avons besoin pour créer des bâtiments dynamiques avec une durabilité structurelle.  En fait, nous devons retourner dans le passé. Au cours de l’iddeleeuwen, des bâtiments ont été construits avec une travée et ceux-ci ont ensuite été utilisés de différentes manières pendant des centaines d’années.  Ce qui est génial, c’est que nous  y trouvons même des constructions en bois   beaucoup plus anciennes... Vous remarquez : la boucle est bouclée – c’est une sorte de  « retour vers le futur ».  En bref, nous devons nous débarrasser de la philosophie selon laquelle  un bâtiment est un produit jetable.  Nous devons  développer et compiler les différentes couches de construction  en fonction  de leur durée de vie. Les colonnes pourraient facilement  durer quatre cents ans, les murs du système peut-être trente ans, tandis que les dalles de moquette  sont usées après dix  ans.  "

Batichronique : Vous avez indiqué au début que nous devons intégrer davantage la nature dans les villes ?

Luc Eeckhout : « En effet, c’est un autre point d’attention dans une stratégie de développement durable efficace. Paradoxalement, nos villes deviennent des « refuges » pour la nature parce que trop de pesticides sont utilisés dans les zones agricoles. De plus, il y a une prise de conscience croissante que les gens ont besoin de verdure. Qui préfère voir un bloc de béton qu’un arbre quand il regarde par la fenêtre? Dans tous les cas, nous devons nous débarrasser de nos  bâtiments trop dispersés. Cela signifie en effet un mode de vie plus dense, mais les gens peuvent gérer cela si nous faisons suffisamment  de place pour la nature. Cela  nécessite une manière différente d’aménagement du territoire et d’approche du projet. Avant de concevoir un bâtiment, nous devrions d’abord réfléchir à l’endroit où nous   pouvons fournir la nature. Ensuite, nous devons  examiner comment les bâtiments eux-mêmes peuvent créer de la verdure et de la biodiversité, par exemple en fournissant des toits et des façades verts.

Batichronique : N’est-ce pas contraire à votre point de vue selon lequel les bâtiments devraient durer des centaines d’années ?

Luc Eeckhout : « Nous devons d’abord passer par une période de transition où l’importance d’une vision globale est primordiale. L’objectif absolu est que nous rassemblions les gens dans de petits noyaux urbains où tout est accessible à vélo, à pied ou en transports en commun  .  Cela peut réduire l’énorme espace de mobilité et libérer un espace gigantesque pour la verdure.  Si nous  supprimions toutes les places de parking privées et publiques  à Gand,  230 terrains de football seraient libérés! Le nombre de routes peut également être considérablement réduit, ce qui crée à nouveau une quantité incroyable d’espace.  Nous pouvons tout réorganiser en quartiers de 10 minutes  qui sont bien équilibrés avec la nature et où les fonctions sont remplies de manière à ce que tout soit facile d’accès.  "

Batichronique: C’est peut-être une belle philosophie, mais dans la pratique, vivre en ville est  maintenant souvent beaucoup plus cher qu’à la campagne. Comment briser ce cercle ?

Luc Eeckhout : « Parce que les matériaux et l’espace se raréfient, tout – et certainement la vie confortable – va devenir plus cher. Par conséquent, nous devrons réorganiser nos ressources financières. De ce point de vue, il deviendra vite clair qu’il coûte beaucoup plus cher d’avoir une voiture que de vivre en ville. Le « Total Cost of Ownership» nous l’apprend. Si vous faites le calcul, alors  une maison ZEN (Zéro énergie) en ville est déjà plus intéressante qu’une  maison à la campagne. Les banques le savent également et accordent des prêts plus rapidement. Finalement  , nous pouvons évoluer vers une situation où nous  échangeons des maisons ou des lieux de travail les uns avec les autres. Les personnes âgées échangent leur maison familiale contre le studio des jeunes qui veulent fonder une famille. Ou les entreprises changent d’emplacement pour se rapprocher de leurs clients et / ou employés. Et cela nous ramène à la nécessité d’adapter les bâtiments dont nous avons parlé plus tôt. »

Batichronique :Qu’est-ce que nous faisons de mal à vos yeux aujourd’hui ?

Luc Eeckhout : « La construction se fait aujourd’hui sans faire de recherche. À Bruxelles, Anvers et Gand, par exemple, beaucoup de choses sont encore en cours de construction pour les familles, alors que la majorité des habitants sont des célibataires ou des couples sans enfants.  En conséquence, les personnes âgées  ne trouvent certainement pas d’appartement, tandis que les jeunes familles n’ont pas le budget pour acheter une maison spacieuse. C’est trop fou pour les mots, n’est-ce pas? Il faut  en construire davantage en fonction de la demande effective, ce qui nécessite des recherches et des analyses supplémentaires.  Néanmoins, le résultat sera positif en même temps, il sera possible de vérifier ce qui est encore nécessaire en termes d’infrastructures et d’installations,  telles que les  ateliers de réparation de vélos, les distributeurs automatiques de billets, les crèches, les magasins...

Batichronique : Allons-nous vers une société où la « vie en tant que service » est offerte ?

Luc Eeckhout : « Il faut en effet oser penser à des modèles dans lesquels nous renonçons à la propriété – ce qui ne sera pas évident en Belgique. Je crois fermement en un concept où les personnes et les entreprises deviennent membres d’une coopérative qui acquiert des bâtiments, après quoi elles peuvent choisir dans quelle maison ou bâtiment elles veulent vivre / travailler en fonction de la phase de leur vie ou de leur entreprise. Avoir sa propre maison, bureau ou studio  est un certain fardeau. Surtout en période de pénurie de matériaux et de professionnels qualifiés. C’est pourquoi il est logique que nous évoluions vers une situation dans laquelle les lieux de vie ou de travail sont offerts en tant que service.  Pourquoi n’y a-t-il pas d’application de partage d’espace ?  Comme la société de partage devient de plus en plus populaire, je pense que c’est certainement un scénario réalisable. À mon avis, cela contribue également à la durabilité. Il est ainsi plus facile  pour une  coopérative d’investir dans un réseau collectif d’eaux pluviales. En tout cas, ce sera  beaucoup moins cher  que si chaque propriétaire individuel devait le faire. Idem pour la construction  de réseaux d’énergie géothermique et de chaleur.  Même l’utilisation courante de tondeuses à gazon, de perceuses...  Cela facilite les choses. Tout cela réduira  l’envie d’une  production axée sur les ventes et    réduira ainsi  la montagne de déchets.  Tout tient ensemble... Et c’est précisément cette connexion que nous devons progressivement commencer à voir avant qu’il  ne soit finalement trop tard.

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