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Vision

Laurent Vrijdaghs sur les ambitions et les défis de la Régie des Bâtiments

Avec plus de sept millions de mètres carrés de surface gérée, la Régie des Bâtiments est peut-être le client le plus important du secteur de la construction en Belgique. Mais cela va-t-il durer ? En effet, la rationalisation est en tête de l'agenda de l'administrateur général Laurent Vrijdaghs. Toutefois, il n'y a pas lieu de paniquer, car les projets de la Régie des Bâtiments pour les quinze prochaines années peuvent être qualifiés d'assez ambitieux.

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Photo : Studio Dann

Batichronique : Le nom « Régie des Bâtiments » semble familier à tout le monde, mais que faites-vous exactement ?

Laurent Vrijdaghs : Vous pouvez considérer que nous gérons les bâtiments qui abritent les départements du gouvernement fédéral, certaines institutions d'utilité publique et les centres de connaissances. Certes, nous gérons et entretenons ces bâtiments au sens large du terme, car nos compétences comprennent également le lancement et le suivi de rénovations durables et de nouvelles constructions. Dans ce contexte, nous pouvons également mettre en place des partenariats public-privé. Nous sommes en outre mandatés par le gouvernement pour reprendre des biens locatifs dans le portefeuille et louer le patrimoine de l'État à des tiers. Nous sommes également responsables de la restauration des bâtiments historiques appartenant à l'État belge. Nous réalisons toutes ces tâches à partir de trois DG (directions générales - ndlr). La DG Gestion clients examine les besoins de nos « clients ». La DG Stratégie formule la manière dont nous allons y répondre. La DG Services opérationnels, quant à elle, veille à la mise en œuvre effective de la stratégie.

Batichronique : Vous gérez donc un patrimoine très large et diversifié ?

Laurent Vrijdaghs : Une grande partie est constituée de complexes de bureaux, bien sûr, mais nous gérons aussi des prisons, les écoles européennes, les Archives de l'État, les stands de tir de la police, le palais royal, les centres d'accueil de Fedasil, des musées, des palais de justice, etc. Au total, nous gérons 906 sites. Cela équivaut à une superficie de 7,23 millions de mètres carrés, ce qui constitue le plus grand portefeuille immobilier du pays. 616 sites appartiennent à l'État belge, 259 sont loués et 37 relèvent de la catégorie « autres », y compris le DBFM (« design, build, finance, maintain » ou conception, construction, financement, entretien - ndlr), la Donation royale (moitié du château de Laeken - ndlr), etc. Notre principal « client » est le SPF Justice, qui occupe 30 % de la surface. En deuxième position vient le SPF Finances avec 15 %, suivi de la police fédérale avec 12 %, du SPP Politique scientifique avec 8 % et des organisations européennes et internationales avec 4 %.

Batichronique : Comment voyez-vous l'évolution de ce patrimoine à l'avenir ?

Laurent Vrijdaghs : Je pense qu'il est de notre devoir d'utiliser l'argent des contribuables de la manière la plus efficace possible. C'est pourquoi je plaide depuis de nombreuses années en faveur de la réduction du patrimoine. Lorsque j'ai commencé à travailler à la Régie des Bâtiments en 2008, j'ai remarqué que beaucoup d'espace dans les bâtiments publics n'était pas utilisé de manière optimale. J'ai décidé d'en faire l'expérience et j'ai analysé le comportement d'entrée et de sortie d'un bâtiment situé à la Gare du Midi, qui abritait entre 5 et 600 fonctionnaires répartis sur sept étages. Il en est ressorti qu'à peine 400 personnes en moyenne étaient présentes chaque jour, de sorte que quatre étages seraient plus que suffisants. Pourtant, le président du comité de direction de ce SPF n'a pas écouté ma proposition et aucun cadre légal ne l'y obligeait. J'ai immédiatement trouvé ma mission : élaborer une norme d'occupation. Elle a été approuvée par le Conseil des ministres en 2012, marquant un premier pas important vers la rationalisation du patrimoine de l'État. Depuis lors, nous sommes passés de plus de huit à sept millions de m2 de surface possédée/louée. Dans les deux prochaines décennies, nous entendons réduire encore ce chiffre d'un million de m2.

Batichronique : Cela suffira-t-il à accommoder tout le monde ?

Laurent Vrijdaghs : D'après nos calculs, 6 millions de m2 seront plus que suffisants. Tout d'abord, nous avons habitué nos « clients » à moins d'espace physique en réduisant progressivement les mètres carrés bruts par personne. Grâce à de nouveaux concepts et à un meilleur aménagement, vous pouvez déjà gagner beaucoup d'espace sans sacrifier le confort. Il suffit de penser aux bureaux paysagers au lieu des bureaux individuels, aux salles de réunion moins nombreuses et plus petites, aux systèmes d'archivage peu encombrants, aux postes de travail flexibles, etc. Par le passé, tous les fonctionnaires étaient également pris en compte, alors qu'aujourd'hui, nous ne prenons en compte que les personnes qui ont réellement besoin d'un lieu de travail. Les employés qui travaillent à l'extérieur, les nettoyeurs, les chauffeurs, les agents de sécurité, le personnel d'accueil, etc. ne sont plus pris en compte dans les calculs. En outre, depuis la pandémie de COVID-19, le télétravail est devenu la règle plutôt que l'exception. Nous prenons également en compte les travailleurs à mi-temps, les personnes en vacances et celles en congé de maladie. Enfin, la forte hausse des prix de l'énergie l'hiver dernier (et la réflexion sur la durabilité en général) a joué en notre faveur. Tout le monde est conscient que nous devons faire plus d'économies d'énergie, ce qui va à l'encontre de l'inutilisation de vastes espaces. De la norme selon laquelle 2 400 m2 devaient être fournis pour 100 fonctionnaires, nous sommes passés à un calcul où 100 employés équivalent à 68 équivalents temps plein, et donc au même nombre de lieux de travail. Ceux-ci disposent toujours de 10,5 au lieu de 24 m2 par personne, y compris les (petites) salles de réunion, les salles d'archives et d'impression, les petites cuisines et les coins café. L'avantage, c'est que personne ne subit de désagrément ou de perte de confort. Nous espérons maintenant réduire encore davantage le nombre de m2 par personne grâce à une meilleure utilisation de l'espace.

Batichronique : Comment voyez-vous l'évolution du patrimoine restant d'ici 2050 ?

Laurent Vrijdaghs : Il n'est même pas nécessaire de se projeter aussi loin dans l'avenir pour se rendre compte qu'un ajustement drastique du patrimoine est imminent. Notamment parce que le Plan National Énergie-Climat prévoit une réduction de moitié des émissions de CO2 d'ici à 2030 et vise à éliminer complètement les émissions d'ici à 2040. Il nous reste donc seize ans au maximum pour atteindre ces objectifs ambitieux. Bien entendu, il ne suffit pas d'utiliser moins de surface. Nous devons également moderniser les bâtiments de fond en comble. D'une part, nous visons une grande interopérabilité : les bâtiments doivent être construits et aménagés de manière si flexible qu'ils peuvent être utilisés par tous nos « clients ». D'autre part, nous nous efforcerons naturellement de passer des combustibles fossiles à des techniques durables pour le chauffage et le refroidissement. À cette fin, nous avons élaboré un plan d'investissement qui s'étale sur vingt ans, compte 150 projets et nécessite un investissement de six milliards d'euros.

Batichronique : De quels projets s'agit-il exactement ?

Laurent Vrijdaghs : Il s'agit d'un mélange de restauration, de rénovation et de nouvelle construction. Par exemple, nous voulons enfin commencer à travailler sur la rénovation/restauration du Palais de justice de Bruxelles. En outre, il faudrait des prisons supplémentaires et une cinquième école européenne, certains palais de justice doivent être rénovés et il y a les projets pour la police fédérale, Sciensano et l'INCC, etc. Sur les six milliards d'euros nécessaires, nous ne disposons pour l'instant que de quatre milliards d'euros, à politique inchangée. Si nous n'obtenons pas de ressources supplémentaires, nous devrons fixer des priorités et faire des choix difficiles.

Batichronique : Vous voulez dire être « inventif » en vendant des bâtiments pour les relouer ensuite ?

Laurent Vrijdaghs : Ces pratiques semblent appartenir définitivement au passé. Depuis 2003, nous ne vendons que ce dont nous n'avons plus besoin. Nous achetons aussi nous-mêmes, comme deux grands bâtiments destinés à la Sûreté de l'État et au Centre de crise. Si nous avons la possibilité d'emprunter, nous envisagerons certainement l'achat. D'ailleurs, nous abandonnons également les baux à long terme. Pour répondre avec souplesse aux nouveaux besoins de nos « clients », je préconise des contrats d'une durée maximale de neuf à douze ans.

Batichronique : Les partenariats public-privé sont-ils un moyen d'obtenir ces deux milliards supplémentaires ?

Laurent Vrijdaghs : C'est une formule que nous accueillons favorablement, non seulement pour des raisons financières, mais aussi parce que nous n'avons tout simplement pas la force humaine nécessaire pour réaliser tous les projets nous-mêmes. Toutefois, l'État belge ne doit pas tout transférer au privé, sous peine de perdre le contrôle. Il s'agit d'un exercice d'équilibre extrêmement difficile auquel tous les pays sont confrontés. Le Danemark et la Suède, par exemple, ont trop privatisé, ce qui leur fait perdre le contrôle et l'expertise. De leur côté, la France et l'Italie préféreraient tout faire elles-mêmes, mais par manque de personnel et de ressources, tout est mis en suspens. C'est pourquoi nous choisissons de développer nous-mêmes des projets de 5 à 10 millions. Dans ce cas, nous lançons des marchés publics pour la réalisation effective. Entre 10 et 50 millions, nous optons le plus souvent pour une formule « design & build » (conception et construction) que nous finançons nous-mêmes. Ce n'est que lorsque l'investissement est estimé à plus de 50 millions d'euros que nous optons pour le PPP.

Batichronique : Quels sont les projets qui entrent dans cette catégorie ?

Laurent Vrijdaghs : Le meilleur exemple est celui des nouvelles prisons construites grâce au concept DBFM. Le ministre Vandeurzen nous avait demandé de construire huit nouveaux établissements pénitentiaires en cinq ans, ce qui était impossible tant sur le plan financier que sur le plan de la main-d'œuvre. À titre d'exemple, il nous a fallu dix ans pour construire les prisons d'Ittre et de Hasselt. Grâce à la formule DBFM, cinq de ces établissements ont été achevés en cinq ans et trois autres sont en phase de démarrage. Le résultat a été si satisfaisant que nous avons même planifié des projets supplémentaires : des prisons à Bourg-Léopold, Verviers et Vresse-sur-Semois, ainsi qu'un centre pénitentiaire à Alost, Paifve et Wavre. Concrètement, l'investissement et l'entretien seront pris en charge par un consortium de partenaires privés pendant 25 ans. En échange, nous payons un montant annuel élevé qui couvre tous les frais ainsi que l'amortissement de l'investissement. De cette manière, l'État belge deviendra propriétaire d'un bâtiment parfaitement entretenu au bout de 25 ans.

Batichronique : Quels sont les avantages de cette formule ?

Laurent Vrijdaghs : Tout d'abord, elle permet de réaliser plusieurs projets en même temps, ce qui est intéressant pour répondre aux objectifs environnementaux de 2030 et 2040. En outre, il était souhaitable, d'un point de vue humain, de remédier au manque d'espace dans les prisons dans les plus brefs délais. Un autre avantage important est que nous ne commençons à payer qu'au moment où nous commençons effectivement à utiliser ces établissements pénitentiaires. Nous disposons également d'un mécanisme pour amener le consortium à agir rapidement en cas de problème : nous suspendons le paiement jusqu'à ce que la situation soit résolue. Et cela fonctionne : dans une prison, les sols des cellules ont commencé à se fissurer deux ans après la réception. Au bout d'un mois à peine, tout était réparé. En outre, le consortium a également pris en charge l'organisation pratique de cette réparation, y compris le déplacement des détenus. Je n'ai jamais vu un problème résolu aussi rapidement et de manière aussi adéquate ! Un autre atout important est la garantie de l'utilisation de matériaux et de systèmes de qualité supérieure. En effet, le consortium souhaite minimiser les tâches d'entretien. Enfin, nous constatons que les consortiums adoptent une approche innovante et progressive. Dans ce type de projet, ils n'hésitent pas à recourir à de nouvelles techniques, de nouveaux matériaux, de nouveaux produits et de nouveaux processus. De cette manière, nous obtenons naturellement des bâtiments et des techniques très orientés vers l'avenir.

Batichronique : Pouvez-vous donner d'autres exemples de futurs projets de PPP ?

Laurent Vrijdaghs : Nous allons bientôt entamer la construction de la cinquième école européenne et des nouveaux laboratoires de Sciensano (SPF Santé publique) en adoptant la formule DBFM. Nous prévoyons également la réalisation de deux grands centres pour la police fédérale en collaboration avec les zones de police de Gand et d'Anvers. Il y a enfin les nouveaux centres de psychiatrie légale (CPL) d'Alost, de Wavre et de Paifve, qui sont un peu particuliers parce que nous voulons y ajouter le « O » d'« operate » (opérationnalisation) à la formule. Cela signifie que le consortium doit donc également être responsable de l'exploitation du centre de psychiatrie légale. Nous avons pris cette décision après avoir construit le CPL d'Anvers, pour lequel nous avons cherché nous-mêmes un exploitant. Celui-ci a fini par vouloir apporter de nombreuses modifications sur la base de son expertise, ce qui a naturellement entraîné des coûts supplémentaires. Nous voulons maintenant éviter cela en intégrant l'exploitant dans l'équipe de construction.

Batichronique : Et qu'en est-il du « E » d'« energy » (énergie) ?

Laurent Vrijdaghs : C'est là que nous touchons un point sensible, car nous ne pouvons pas travailler nous-mêmes avec les ESCO. Cela relève de la compétence de la Société Fédérale de Participations et d'Investissement, qui a introduit l'année dernière la formule « Design Renovation Finance & Maintenance » (conception, rénovation, financement et entretien) pour plusieurs bâtiments. Entre-temps, certains projets pilotes ont été identifiés, mais il reste à voir quels seront les résultats.

Batichronique : Les ESCO ne constituent-elles donc pas un moyen de réaliser les ambitions climatiques ?

Laurent Vrijdaghs : Les ESCO participeront certainement, mais en attendant, nous cherchons nous-mêmes des moyens de réduire notre consommation d'énergie et d'eau. Ainsi, l'application de solutions durables est devenue un critère de sélection important lors de l'attribution d'un marché public. Logiquement, nous investissons aussi au maximum dans les panneaux photovoltaïques, la géothermie, la cogénération, le « relighting », l'isolation, etc. Ce qui est bien, c'est qu'il y a un changement d'attitude. Même la Commission des Monuments et des Sites adopte aujourd'hui une approche beaucoup plus souple. Nous avons ainsi obtenu l'autorisation d'utiliser du verre superisolant dans le Palais de justice de Bruxelles. Nous avons également été autorisés à transformer le bloc F de l'ancienne caserne de police d'Etterbeek en un complexe de bureaux passif.

Batichronique : La Régie des Bâtiments opte-t-elle donc principalement pour la rénovation et la restauration ?

Laurent Vrijdaghs : Bien sûr, nous continuons à investir dans de nouvelles constructions à haut rendement énergétique, mais uniquement s'il s'agit de la meilleure solution. Nous avons récemment commencé à essayer de « recycler » nos bâtiments dans la mesure du possible. En d'autres termes, si la structure est satisfaisante, nous la maintenons et faisons reconstruire tout le reste du bâtiment pour le rendre durable et à l'épreuve du temps. Si possible, nous réutilisons même des matériaux existants dans le processus, bien que cela coûte jusqu'à 15 % de plus qu'une nouvelle construction classique.

Batichronique : Cherchez-vous également à rendre les bâtiments « intelligents » ?

Laurent Vrijdaghs : Ce serait très intéressant, surtout dans le contexte de la durabilité. Le contrôle de la consommation, l'allumage et l'extinction automatiques du chauffage, de la climatisation et de l'éclairage, etc. sont autant d'éléments qui permettent de réduire les factures d'énergie. Malheureusement, nos connaissances internes en la matière sont limitées. Les compétences et les profils requis sont donc différents de ceux auxquels nous sommes habitués. De plus, il semble qu'il soit encore plus difficile d'attirer des informaticiens que des ingénieurs en construction. Nous devons donc faire une croix sur ce domaine pour l'instant...

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