La numérisation du secteur de la construction doit s’accélérer
Réduire les risques pour les travailleurs, améliorer la qualité et la productivité : la robotisation présente un énorme potentiel dans le secteur de la construction. Or, nombreux sont encore les obstacles à surmonter pour que les entreprises de construction puissent se développer dans cette sphère numérique. Le secteur du bâtiment fait face à un gigantesque défi alors que le marché de la robotique ne cesse d’évoluer. Quelles sont les technologies innovantes d’aide à la construction dont on dispose aujourd’hui et comment la construction peut-elle évoluer en ce sens ? Nous sommes allés interroger le bureau d’études et d’ingénierie Antea, le centre d’innovation Buildwise et le centre de recherche imec.

Les drones se sont rapidement banalisés, y compris dans le secteur de la construction. Les robots font quelques pas prudents dans le secteur, alors qu’ils sont de plus en plus souvent sollicités dans plusieurs domaines.
Robrecht Lippens : « Les drones et les robots sont utilisés pour des tâches d’arpentage et de reconnaissance de terrains. Ils sont capables de réaliser des modèles de terrain de façon plus rapide et au moins aussi précise, ainsi que de collecter des données essentielles aux analyses spatiales. Les avantages étant la rapidité, la sécurité et le confort du collaborateur. »
Angelo Buttafuoco : « Traditionnellement, les robots sont plutôt utilisés dans les usines que sur les chantiers de construction. C’est pourquoi les robots exécutent aujourd’hui des tâches essentiellement répétitives dans le secteur de la préfabrication. En outre, les robots sont développés pour réduire la charge de travail, augmenter la productivité et améliorer la qualité. Contrairement à un environnement prévisible comme une usine, les robots actifs sur un chantier de construction doivent pouvoir s’adapter à leur environnement : ils doivent reconnaître les objets et éviter les obstacles. »
Robrecht Lippens : « Les robots peuvent aussi être utilisés pour effectuer des inspections dans des endroits difficiles d’accès (ou non), évaluer l’intégrité structurelle d’une construction et identifier les tâches de maintenance. La marge de manœuvre est énorme pour travailler de manière rentable et faire de la ‘maintenance prédictive’ assistée par la technologie. Aujourd’hui, la phase de construction d’un projet entraîne d’énormes gaspillages d’argent en raison d’erreurs humaines commises lors des contrôles, même si elle avait été bien pensée dans la phase d’ingénierie. Nous attendons des robots qu’ils effectuent davantage de contrôles et réduisent ainsi cette marge d’erreur. »
Kris Van De Voorde : « La question sera de savoir comment utiliser cette technologie. Il s’agit très souvent d’une interaction entre une personne et un robot. Or, le chantier de construction mobilise une chaîne composée de différentes personnes. Nous explorons donc de nouvelles pistes pour faire travailler ensemble les différents robots et individus. C’est tout le processus de construction que nous devons repenser à cet effet. »
Le projet Safebot de l’Imec

Des liens plus étroits avec les centres de recherche
L’exosquelette, le BIM (Building Information Modelling) et les capteurs de béton intégrés sont autant de nouvelles applications qui sont en plein développement ou utilisées depuis peu. Le secteur évolue sans cesse. Pourtant, certaines opportunités ne sont toujours pas ou trop peu exploitées. Quels sont donc les grands défis à relever ?
Angelo Buttafuoco : « Tout d’abord, les applications dans le secteur de la construction sont très complexes pour une machine car elles nécessitent une grande capacité d’adaptation. Les robots exigent en outre un investissement considérable. Bien que leur prix diminue progressivement, ils restent coûteux et le rendement semble incertain. La formation des collaborateurs pose également question. Une machine complexe nécessitera probablement de nouvelles compétences numériques, voire des processus plus rigoureux. C’est une bonne chose que des initiatives publiques tendent à stimuler la numérisation en contribuant à la formation des travailleurs ou en proposant un accompagnement lors de l’adoption de nouvelles technologies ou du développement de nouveaux produits et services. »
Kris Van De Voorde : « Nous disposerions d’une énorme valeur ajoutée si les entreprises de construction acceptaient de franchir le pas vers l’innovation. C’est pourquoi j’appelle les entreprises de construction à suivre de près le travail des centres de recherche, par exemple en rejoignant le groupe de travail des utilisateurs de nouveaux projets. Idéalement, elles pourraient ainsi se développer et co-investir dans des entreprises technologiques. Nous disposons aujourd’hui d’un secteur de construction solide et riche en entreprises de premier plan. Si nous ne voulons pas perdre cette position, nous devons rester à la pointe de l’innovation. »
Bram Vanderborght : « L’Europe a mis en place diverses collaborations pour des projets de recherche. Le défi consiste à les relier à l’entrepreneuriat local. Nous connaissons Flanders Make pour l’industrie manufacturière flamande, mais il n’existe malheureusement encore rien de similaire pour le secteur de la construction. Imec et Buildwise auront sans doute un rôle à jouer sur ce plan dans le futur. La robotisation du secteur de la construction exige néanmoins une refonte radicale du processus de construction. Nous devons notamment abandonner l’idée selon laquelle les processus de construction devraient être presque tous réalisés sur chantier. L’étape consécutive à la construction préfabriquée consisterait par exemple à intégrer directement en atelier l’électricité dans les murs. »
Kris Van De Voorde : « L’Europe dégage bel et bien aujourd’hui des moyens pour la recherche fondamentale, mais ne le fait pas suffisamment pour les produits plus proches du marché (TRL - ou niveaux de maturité technologie - plus élevés), contrairement à la Chine, par exemple. Nous devons accélérer la numérisation dans le secteur européen de la construction. La volonté est là et nul doute que l’on rattrapera le mouvement, la question est de savoir quand et comment. Les entreprises de construction qui se décident à investir et à partager leurs données avec leurs partenaires seront les premières à progresser. Notre devise est la suivante : suivez les initiatives et les formations et prenez le temps d’expérimenter, en particulier les technologies relativement bon marché telles que les drones et caméras à 360 °. Nous comprenons que les entrepreneurs considèrent l’innovation comme une équation complexe. C’est là que les conseillers des centres de recherche stratégique ainsi que VLAIO peuvent aider les entreprises à faire le pas. »
Le chien robot SPOT

IA : la qualité des données fait tout
Au-delà de la robotisation, l’IA est appelée à jouer un rôle encore plus important, même si cela prendra du temps ?
Angelo Buttafuoco : « L’IA jouera un rôle majeur dans l’habilitation des robots à s’adapter à leur environnement et à être flexibles. L’utilisation simplifiée de ces technologies facilitera leur adoption. Nous prévoyons que dans un avenir proche, les machines ne seront plus programmées par des commandes spécifiques dans des langages de programmation complexes, mais qu’il suffira de leur expliquer la tâche à accomplir, comme nous le ferions à un collaborateur. Cela se fait déjà en centres de recherche, dans un contexte très spécifique. À court terme, l’IA sera capable de générer de nouvelles formes de collaboration qui exploiteront les points forts de l’humain et de la technologie. Combiner la force et la répétitivité des robots avec la faculté d’adaptation des humains (équipés d’exosquelettes et de lunettes de réalité augmentée) permettra d’apporter des avantages significatifs.
Robrecht Lippens : « La robotisation de la construction va continuer à se développer avec l’avènement de systèmes d’IA encore plus sophistiqués, capables de prendre des décisions complexes et de collaborer avec des équipes humaines. L’IA jouera un rôle crucial dans les analyses prédictives, l’évaluation des risques et les processus de construction adaptatifs qui peuvent s’adapter aux conditions changeantes. À mesure que la technologie progressera, nous assisterons probablement à un glissement plus marqué vers l’utilisation de plateformes pilotées par l’IA qui transformeront l’ensemble du secteur de la construction.
Kris Van De Voorde : « L’IA jouera un rôle dans le processus de construction, de la conception à la réutilisation en passant par la réalisation. À noter toutefois que l’IA n’a de sens que si l’on dispose de données de qualité suffisante. L’accent doit donc d’abord être mis sur la préparation de la collecte de données. Les capteurs et les caméras intelligentes revêtent à cet égard une importance cruciale, mais aussi le partage de données entre divers chantiers. »
Robrecht Lippens : « Nous collaborons avec des entreprises telles que Cyclomedia pour cartographier avec précision l’état actuel de la situation. Nous planchons sur une plateforme d’analyse basée sur l’IA où nous rassemblerons un maximum de sources de données. Ces sources proviendront du client, de partenaires externes, des autorités publiques et de nos propres bases de données. Nous souhaitons exploiter davantage les robots pour la gestion de nos infrastructures (critiques). »
Tout comme à l’arrivée de machines en tous genres il y a de nombreuses décennies, la crainte est bien présente de voir les robots chiper des emplois aux humains. Faut-il réellement voir dans les robots une menace pour l’homme et son travail ?
Robrecht Lippens : « Les robots et l’IA doivent être considérés comme un complément sur le marché et non comme une menace. Les besoins en ingénierie sont importants, d’autant que le nombre d’ingénieurs diplômés est insuffisant. Nous entrevoyons les possibilités d’accroître la productivité, de réduire les erreurs, d’éviter le travail répétitif et d’améliorer la sécurité. Les emplois traditionnels évolueront et changeront à l’avenir sous l’effet de l’IA, créant de nouvelles opportunités pour les travailleurs d’utiliser les technologies poussées et d’évoluer dans des fonctions plus spécialisées. Nous constatons parfois quelques résistances à cet égard. »
Angelo Buttafuoco : « Avec 20.000 postes vacants et une population vieillissante, il est important de faire de la construction un secteur attractif. Doter le secteur d’une image plus technologique et rendre le travail moins dangereux et moins pénible peut contribuer à cet attrait. Il est moins risqué de robotiser la construction que de ne pas le faire. »
Kris Van De Voorde : « La technologie ne remplace pas l’humain, elle l’assiste dans ses connaissances et ses compétences. L’être humain a le sens pratique, l’intelligence et la créativité. Le robot ne se fatigue jamais. Les deux forment un tandem idéal. N’oublions pas non plus que le processus de construction lui-même ne cesse de se complexifier : les exigences en termes de climat et de circularité sont plus strictes, mais les attentes des clients sont aussi plus élevées. L’aide de la technologie sera particulièrement bienvenue dans ce nouveau contexte. »
Kelly Cuypers
Itervenants :
- Robrecht Lippens, Coordinateur de « Digital Competence Center & IT », Antea Group
- Bram Vanderborght, Prof dr ir, VUB & imec
- Kris Van De Voorde, Business Program Manager, imec
- Angelo Buttafuoco, R&D specialist, Buildwise
Exosquelette

Avec l’avènement de nombreux robots spécialisés sur les chantiers comme dans les ateliers de préfabrication, le marché de la robotique connaît une forte croissance dans le secteur de la construction : de l’ordre de 15% à 17% par an. Songeons à Okibo (robot de plâtrage et de peinture), Raise Robotics (fixation de panneaux muraux) ou encore CyBe (robot d’impression 3D en béton). La technologie robotique améliore en outre le bien-être des travailleurs, la coopération entre l’humain et le robot, et la précision des contrôles sur chantier.
Les exosquelettes constituent un excellent exemple de technologie qui améliore l’ergonomie des travailleurs de la construction. Ils visent à soulager physiquement les ouvriers. La technologie des robots portables s’adapte à la forme du corps.
Le chien robot SPOT est capable d’explorer des zones dangereuses ou difficiles d’accès pour l’homme, comme les chantiers de construction, les pipelines ou les tunnels. Grâce à sa mobilité et à ses capteurs, SPOT peut collecter des données détaillées pour les analyses spatiales, y compris les cartes en 3D et les images thermographiques.
Le projet Safebot de l’Imec est un autre exemple de nouvelle technologie de capteurs. Ce précieux système de sécurité intégré au robot permet une collaboration directe entre l’humain et le robot, augmentant ainsi la rapidité et la productivité, tout en privilégiant la sécurité (quelles que soient les influences de l’environnement comme la pluie et la poussière).
Le projet de recherche imec.icon BoB (BIM On Building) numérisera le suivi des projets de construction en améliorant les modèles d’information du bâtiment et en les associant aux données relatives à l’avancement et à l’activité en temps réel sur le site, qui seront analysées à l’aide de la technologie de l’IA.
Le projet de recherche CoMMoDore a pour but de développer un système automatisé sans fil permettant de surveiller le processus de durcissement du béton, combiné à un contrôle de dégradation non invasif basé sur des capteurs de température et de conductivité incorporés dans le béton.