Kepler brise tous les codes du secteur de la construction
Rendre les habitations abordables et durables exige des concepts innovants. Innovants au vrai sens du terme : l’avenir appartient aux profils audacieux qui sortent des sentiers battus et vont jusqu’à lancer des idées controversées. Kepler répond assurément à ces critères. Cette jeune entreprise limbourgeoise construit et vend des maisons complètement identiques. Même l’aménagement intérieur ne laisse aucun choix aux acquéreurs. Vous avez dit bizarre ? Détrompez-vous : cette approche suscite un large intérêt…
Les articles visionnaires de 2023 laissaient peu de place à l’imagination. Les personnes interrogées s’accordaient toutes sur ce point : les acteurs qui s’en tiendraient aux concepts traditionnels de la construction étaient voués à un avenir incertain. Selon elles, le marché allait voir débarquer de nouveaux acteurs qui aborderaient la construction sous une perspective totalement différente et pourraient dès lors se profiler comme les vrais grands concurrents. Dennis Vangeneugden est à peu près l’incarnation de cette prédiction. Ce juriste de formation n’est pas seulement un orateur doté d’une vision bien tranchée. C’est aussi un entrepreneur dans l’âme, qui repère les opportunités, les saisit et les traduit en modèle d’entreprise florissant. Au départ, il ne s’intéressait même pas du tout à la construction, puisqu’il travaillait comme gestionnaire d’investissements, officiait comme acheteur/revendeur indépendant de biens issus de faillites et gérait une entreprise spécialisée dans des logiciels innovants pour le pilotage numérique et interactif des écrans sur base de l’intelligence artificielle. L’informatique serait peut-être restée son domaine d’activité si le destin n’en avait pas décidé autrement. Un beau jour en effet, son partenaire commercial de l’époque a décidé qu’il valait mieux que leurs chemins se séparent.
Exit le commerce !
Il a sans doute eu de la chance dans sa malchance, car c’est grâce au montant du rachat que Dennis a atterri de manière impromptue dans le secteur de la construction. Il a investi dans quelques maisons anciennes dont il a entrepris lui-même la rénovation (énergétique), en installant notamment des panneaux solaires et une batterie. « Cette aventure m’a permis de mesurer à quel point les coûts/bénéfices de tels projets sont complètement déséquilibrés », témoigne-t-il. « Améliorer l’efficacité énergétique de maisons anciennes est une entreprise terriblement coûteuse, surtout à l’heure où les matériaux de construction ont vu eux aussi leur coût exploser. L’expérience m’a appris qu’il vaut mieux démolir tout logement dont le PEB est inférieur à C pour le remplacer par une construction neuve. Je ne parle évidemment pas des perles architecturales, patrimoine qu’il convient assurément de protéger. Seulement voilà, notre pays compte un nombre tellement incalculable de vieilles habitations dont la valeur ajoutée architecturale est discutable… Je vois d’ailleurs ma vision entre-temps appuyée par quantité de recherches menées par des centres d’expertise, associations de défense d’intérêts et autres fédérations professionnelles comme Voka, Unizo, Buildwise ou encore Embuild. »
La durabilité va plus loin que l’efficacité énergétique
Au cours de ses aventures en matière de rénovation, Dennis s’est forcément attelé à faire des calculs de rendement. « J’ai vite compris que le volume était la formule magique pour gagner sa vie dans le secteur immobilier », confie-t-il. « Combiné à ma vision de la rénovation, ce constat m’a amené à créer une entreprise spécialisée dans le rachat de vieilles maisons. Nous demandions à une partie externe de les remplacer par de nouvelles maisons en ossature bois, économes en énergie. Notre modèle d’entreprise était fondé sur la vente de volumes : autrement dit des investisseurs qui achetaient plusieurs maisons à la fois. Ce concept a fait mouche, car en l’espace de deux ans, nous avions construit et vendu 68 maisons. Un succès donc, mais que je ne ressentais pas comme tel car je n’étais pas satisfait de la qualité. Certes, ces maisons étaient peu énergivores, mais leur durée de vie était limitée. Ce n’était pas ainsi que j’interprétais le terme ‘durable’ : je veux construire des maisons qui seront encore debout dans cent ans et dont les habitants jouiront d’un maximum de confort. Construire moi-même et maîtriser tous les maillons de la chaîne me semblait être le seul moyen de concrétiser cette ambition. Beaucoup trouvaient mon idée ‘trop folle’, mais la vente de mes parts en 2021 s’est avérée la solution pour réaliser mon projet fou. Il ne me manquait plus qu’un contrepoids, une personne calme et réfléchie qui disposait d’un bagage financier. L’histoire de Kepler a débuté trois mois après le rachat de mon entreprise précédente. Frank Custers m’a rejoint neuf mois plus tard dans l’aventure en qualité d’associé, d’administrateur, de directeur financier CFO et de solide roc. »
Identiques jusque dans les moindres détails
Un grand travail préparatoire s’est imposé pour transformer l’idée de Dennis en concept commercial réaliste et fructueux. En effet, le principe de base était à nouveau le ‘volume’, afin de négocier des prix intéressants auprès des fournisseurs et de maintenir ainsi la construction abordable. C’est alors qu’il a eu l’idée lumineuse de vendre des maisons entièrement identiques, jusque dans les moindres détails. « Lorsque vous commandez 50 salles de bains, cuisines, pompes à chaleur…, vous bénéficiez d’office d’une belle réduction », précise-t-il. « Cela m’a permis d’obtenir des produits excellents à des prix malgré tout raisonnables. En étendant cette approche à l’isolation, aux plaquettes de parement, aux panneaux photovoltaïques et même aux prises, lampes, sonnettes de porte, robinets, interrupteurs… je peux construire des maisons d’une qualité qui équivaut à celle des maisons de luxe, voire la dépasse, mais à un prix en moyenne inférieur de 15% à celui d’une nouvelle construction similaire. Et ce à une vitesse inégalée : le processus de production et d’installation prend à peine 5 semaines. »
Pas pour tout le monde
Tout cela est bien beau et intéressant, encore faut-il qu’il y ait des Belges (ne sommes-nous pas tous nés avec une brique dans le ventre ?) intéressés par une telle solution. « Bien entendu, ce concept ne s’adresse pas à tout le monde », précise Dennis Vangeneugden. « Nos maisons mesurent 6 x 12 mètres, comportent deux niveaux et comptent trois chambres. Lorsqu’elles sont mitoyennes, nous les construisons en miroir, ou alors la maison du centre doit se contenter d’une fenêtre en moins dans le salon. Il n’est pas question de procéder à d’autres ajustements, ni même d’abattre telle cloison en placoplâtre pour transformer deux chambres en une seule. L’aménagement est épuré et minimaliste, avec une cuisine noire, des sols en carrelage imitation bois, un escalier en chêne naturel et une salle de bains équipée d’une douche à l’italienne d’1m60. Ceux qui cherchent un petit studio ou une grande villa exclusive ne sont de toute façon pas à la bonne adresse chez nous. Même chose pour ceux qui aiment le style fermette, les couleurs vives ou les touches personnelles. C’est pourquoi nous interrogeons d’emblée les intéressés pour cerner leur goût et la nature de leur projet. Si leurs réponses ne cadrent pas avec notre offre, la discussion en reste là. Nous jouons d’ailleurs toujours franc jeu : nous ne tenterons jamais de convaincre qui que ce soit d’adhérer à la démarche de Kepler s’il est clair dès le départ qu’elle ne lui correspondra pas. »
Mieux que la moyenne
Reste bien sûr la question de savoir comment développer une maison qui plaise à tout le monde. Réponse : c’est impossible. « Nous optons pour le plus grand dénominateur commun », explique Dennis Vangeneugden. « Je suis allé demander aux plus grands fournisseurs quel était leur produit ou leur solution le/la plus ‘populaire’. En bref, j’ai basé mes choix sur des statistiques… Entendons-nous bien : nos maisons ne resteront pas toujours identiques pour autant. L’idée est de répéter tous les ans cet exercice auprès de chaque fournisseur. Si un autre type de cuisine devient entretemps plus populaire, nous changerons de modèle. Il reste en effet crucial de suivre les tendances. » Des architectes ont bien entendu été impliqués dans le projet et Dennis a pris le temps de se plonger dans les aspects techniques de la construction durable et énergétique en ossature bois. « Nous avons eu la chance de recruter un directeur de production rompu à cette matière », poursuit-il. « Ensemble, nous avons mis au point un concept qui n’a pas son pareil sur le marché belge en termes d’isolation. Les sols et les murs sont remplis de cellulose soufflée sur une épaisseur respective de 30 et 16 cm. Nous utilisons également des panneaux en bois stratifié qui se caractérisent par leur solidité. Pour les finitions, nous recourons aux produits Siga, qui laissent parfaitement respirer le bâtiment. Une maison en ossature bois doit être construite avec les bons matériaux pour être perméable à la vapeur. Il en résulte un bâtiment tellement économe en énergie que 5 collecteurs air/air suffisent à créer un confort énergétique idéal en hiver comme en été. En les combinant à 14 panneaux photovoltaïques et à des batteries domestiques, nous atteignons même un niveau E de -15. »
Prise en charge complète
Selon Dennis Vangeneugden, le goût joue un rôle de moins en moins important dans la décision de construire une maison. « Beaucoup de gens cherchent avant tout une maison dans laquelle ils n’auront quasiment plus de frais d’énergie et autres », clarifie-t-il. « Ils veulent un ‘chez-soi’ qui privilégie le confort et le bien-être tout en restant abordable. L’absence de libre choix pour les finitions est un compromis qu’ils acceptent volontiers. Nos clients sont essentiellement des plus de 50 ans et des jeunes trentenaires : deux catégories d’âge qui optent résolument pour une maison clé sur porte. Les temps ont changé. La jeune génération, en particulier, n’est plus intéressée par des maisons dans lesquelles il faudrait bricoler pendant des années. Voilà pourquoi nous optons pour une prise en charge complète : c’est Kepler qui cherche les terrains à bâtir/anciennes maisons, les achète et s’occupe du permis de bâtir. Il faut dire que cette approche globale fait partie intégrante de notre concept. Nous n’investissons en effet que dans les terrains sur lesquels nous pouvons maintenir des dimensions de 6 x 12 mètres. C’est dire si nous ne sommes pas vraiment actifs dans les centres-villes, car il nous faudrait beaucoup de chance pour y dénicher un bâtiment ancien de ces mêmes dimensions. Mais cela ne nous empêche pas de suivre le contexte global de la durabilité. En d’autres termes, nous ne participons pas au développement linéaire de l’habitat et cherchons sciemment nos terrains en périphérie des villes. »
Une maison par jour en 2026
Le concept fait mouche : Kepler peut le prouver noir sur blanc. À peine un an après sa création, l’entreprise est déjà en excellente santé financière selon Dennis Vangeneugden. Elle a vendu 36 maisons en 2023, mais la demande dépasse de loin ce chiffre. « Pour le moment, nous n’arrivons tout bonnement plus à suivre », explique-t-il. « Cette année, nous construirons au moins 80 maisons, et c’est un fait puisque nous avons déjà acheté 58 terrains constructibles pour lesquels nous avons déjà obtenu le permis de bâtir. Pour 78 autres parcelles au Benelux, la procédure de demande des permis nécessaires est en cours. Nous envisageons dès lors de renforcer à court terme notre équipe de 26 ETP FTE en engageant 6 collaborateurs supplémentaires. Notre ambition est de construire une maison par jour d’ici 2026 et je suis convaincu qu’il ne s’agit pas d’une utopie mais d’une projection réaliste. »