Pieter Van Hemele sur le choc imminent du marché du travail et la valeur du savoir-faire
La war for talent fait rage depuis des années dans le secteur de la construction, mais selon Pieter Van Hemele, CEO du bureau d’intérim IMPACT, le pire est encore à venir. « Ce que nous ressentons aujourd’hui n’est qu’un avant-goût. À partir de 2030, les baby-boomers quitteront massivement le marché du travail, et nous ne sommes absolument pas prêts. » Alors que la pénurie structurelle, l’IA et la migration redessinent les fondations de notre marché du travail, il plaide pour la restauration du prestige du travail manuel.
« La vraie tempête éclatera dans cinq ans », affirme Van Hemele. « Les derniers baby-boomers partiront alors à la retraite, ce qui signifie une sortie gigantesque d’expérience, de connaissances et de main-d’œuvre. Nous avons compensé cela ces dernières années grâce à des travailleurs étrangers, mais cet afflux se tarit. Les chiffres ne mentent pas. Alors que, grâce à l’indexation automatique, les salaires en Belgique ont augmenté régulièrement ces 30 dernières années, ils ont littéralement explosé dans des pays comme la Pologne, la Hongrie ou la Slovaquie. Combiné à un coût de la vie beaucoup plus bas, l’intérêt de venir travailler en Belgique chute à vue d’œil, et les flux migratoires en Europe se figent — sauf en provenance de l’Ukraine, pays en guerre. Personne ne quitte son pays pour quelques centaines d’euros de différence. Pour notre secteur de la construction, notamment, c’est une douche froide. Si nous voulons encore attirer des travailleurs étrangers, il faudra aller au-delà de l’Europe : Turquie, Asie... Et cela demande des investissements importants, un accompagnement et des cours de langue. »
Jusque-là, de mauvaises nouvelles. Mais cet afflux de nouveaux travailleurs potentiels offre aussi des opportunités : « Ceux qui sont prêts à venir jusqu’ici depuis l’extérieur de l’Europe apportent un éthique de travail énorme. Ce sont généralement des personnes qui savent ce que signifient la pauvreté et de mauvaises conditions de vie, et qui sont profondément motivées pour avancer. Cela se traduit par une volonté de faire ses preuves, d’apprendre, par moins d’absentéisme et moins d’arrêts maladie. C’est une réelle valeur ajoutée pour les entreprises. »
Une économie de gens de métier
Concernant notre réserve de main-d’œuvre interne, l’analyse de Pieter est moins encourageante. « Depuis des décennies, la subsidiation pousse tout le monde vers l’enseignement supérieur, alors que notre économie n’en a pas du tout besoin. De cette manière, nous créons une génération de personnes inutilement formées, et cela a de lourdes conséquences pour le marché du travail. Avec la montée fulgurante de l’intelligence artificielle, les services administratifs se désorganisent. De nombreux métiers de la comptabilité, de l’administration, des RH et des ventes vont tout simplement disparaître, alors que nous créons en parallèle une pénurie chronique d’électriciens, de soudeurs et de plombiers… La liste des métiers en pénurie s’allonge tandis que nous parlons. C’est l’un des plus grands paradoxes de notre marché du travail. »
Cette disruption entraîne, selon lui, un revirement progressif : « Il y a vingt ans, c’était évident : si vous vouliez que votre enfant gagne correctement sa vie, vous l’envoyiez — parfois contre toute logique — à l’université ou dans une haute école pour obtenir un diplôme. Parce qu’un diplôme, quelle que soit la discipline, était une garantie d’avenir. Cela a involontairement créé une aversion pour le travail manuel. Chez moi, ce n’était pas différent. Mais de plus en plus de parents sentent que cela ne tient plus. Ce changement pourrait sauver le secteur technique. Quand on fabrique quelque chose, on voit le résultat de son travail. Cela donne de la fierté. C’est ce que notre société a perdu. Il faut le retrouver : dans l’enseignement, dans les médias, dans la manière dont on parle du travail. Aujourd’hui, si vous voulez assurer l’avenir de votre enfant, mieux vaut choisir une formation technique ou un métier de la construction. Les possibilités sont énormes et, en plus, un bon technicien gagne aujourd’hui plus qu’un employé. Cette tendance ne fera que s’accentuer. Chez IMPACT, nous voyons que les salaires des profils techniques augmentent chaque année plus vite que l’index. Et pas un peu : significativement ! La demande continue d’augmenter et l’offre diminue. Le principe économique le plus simple : les salaires montent. »
« Dans ce contexte, il est absurde que le travail manuel souffre encore d’un problème d’image », ajoute Van Hemele. « La construction et la technique sont parmi les derniers bastions de la sécurité de l’emploi. L’intelligence artificielle peut faire des choses étonnantes, mais monter un mur ou souder de l’inox sur chantier, ce n’est pas encore dans ses cordes. L’automatisation, les robots et les outils numériques vont modifier et alléger le travail, mais les mains qui exécutent resteront indispensables. Les métiers qui permettent de construire des maisons, des écoles et des infrastructures sont la base de notre société. Nous aurons toujours besoin de personnes qui effectuent un travail tangible et concret. Et ce ne doivent pas être tous des diplômés brillants. La motivation et l’envie d’apprendre, voilà ce qui compte avant tout. »
Recrutement et sélection
Cette conviction guide aussi la manière dont Pieter recherche des intérimaires pour ses clients.
« Nous ne sommes pas une agence d’intérim classique. IMPACT fait partie d’une entreprise familiale qui mise sur la valeur ajoutée et les placements durables. De plus en plus, nous devenons le partenaire en recrutement et sélection des entreprises qui cherchent des personnes prêtes à travailler avec leurs mains. La même évolution s’est produite dans les autres entités de notre groupe (IMPACT est la société sœur de Talentus, NOVA Engineering et Talent Link, qui se concentrent respectivement sur le recrutement des employés, l’outsourcing d’ingénieurs et de profils techniques, et la sélection de professionnels hautement qualifiés — ndlr). Comme nous ne sommes pas une multinationale uniquement intéressée par le chiffre d’affaires, nous n’avons aucun intérêt à ce que les clients maintiennent des intérimaires dans l’incertitude pendant des mois. Certaines entreprises suivent encore une vision court-termiste de l’emploi et utilisent le travail temporaire comme modèle structurel. Cette époque est révolue. Aujourd’hui, les candidats attendent de la stabilité et des perspectives. Les entreprises qui ignorent cette évolution le ressentent dans leurs recrutements et leur engagement : moins de motivation, plus de turnover et davantage d’absentéisme. Les travailleurs sont plus assertifs et mieux informés. Ils choisissent plus consciemment, posent plus de questions et cherchent des employeurs qui investissent réellement en eux. »
« La qualité commence par offrir de la stabilité et des perspectives aux gens. Nous le faisons en mettant tout en œuvre pour créer une bonne correspondance. Les clients ouverts aux contrats fixes constatent un afflux de meilleure qualité, moins de turnover et plus de satisfaction. Lorsqu’on envoie un bon candidat à un client, cela ne s’arrête pas à une courte mission : c’est la base d’une relation de long terme. Si le candidat est heureux, il reste. Et si le client est satisfait, il revient pour de nouvelles missions. Cela demande plus d’efforts, mais cela rapporte. »
Le développement personnel comme clé
Et quand une personne se sent-elle bien ? « Il y a un potentiel incroyable sur le marché du travail belge », dit Van Hemele. « Mais il est inexploité. Nous avons des milliers de chômeurs de longue durée parfaitement capables de monter des cloisons en gyproc ou de réaliser des chapes. Mais ils n’en ont pas l’occasion, car la politique de formation actuelle est inefficace. Nous gaspillons des millions dans des cours qui ne mènent nulle part, alors que les entreprises supplient pour obtenir un soutien financier afin de former elles-mêmes des travailleurs. Pourquoi n’accordons-nous pas au moins une exonération de cotisations sociales ou un incitant fiscal à ces employeurs ? Voilà ce qui serait une subsidiation utile. »
Mais la formation n’est pas qu’une question de politique ; c’est aussi une question de saisir les opportunités. « Nous constatons parfois que les gens sous-estiment la quantité d’initiative personnelle nécessaire pour saisir une opportunité. Une correspondance durable n’existe que si les deux parties sont prêtes à investir : l’une dans l’autre, en temps et en formation. Je crois profondément au développement personnel. Lorsque j’ai construit ma maison, j’ai moi-même installé la ventilation, l’électricité et la plomberie, avec l’aide de mon coach YouTube. Ma femme devenait folle, mais j’en ai énormément appris. Ce sentiment de fierté quand on crée quelque chose de ses propres mains est inestimable. La motivation pour le faire vient en grande partie de soi. »
« Chez IMPACT, nous travaillons avec des partenaires qui proposent des formations pratiques, y compris pour les candidats étrangers. Avant de leur confier une mission, ils doivent passer un test de langue. Nous veillons même à ce qu’ils puissent suivre des cours de langue avant d’arriver en Belgique. Cela montre non seulement leur motivation, mais augmente aussi leurs chances de s’intégrer avec succès. Ces travailleurs se révèlent par la suite les plus loyaux, car ils savent que leur employeur a investi en eux. Je suis donc un partisan des systèmes qui permettent aux gens de tracer leur propre parcours, d’investir continuellement dans leur développement et de faire certifier leurs efforts. Ils peuvent ainsi acquérir de nouvelles compétences à leur rythme, en parallèle de leur emploi actuel. Cela donnerait un énorme coup de pouce au taux de participation sur le marché du travail. »
La diversité sans slogans
Quant à la sous-représentation des femmes dans la construction, Van Hemele est pragmatique : « Tout le monde mérite les mêmes chances, mais restons réalistes. Le débat est souvent trop symbolique. S’il y a peu de femmes dans la construction, c’est peut-être surtout parce que l’intérêt pour les métiers techniques est moindre chez elles. Ce n’est pas de l’inégalité, c’est une question de préférences personnelles. À mon sens, la discrimination liée à l’âge est un problème bien plus important dans le secteur. Les plus de 50 ans sont massivement ignorés, alors que c’est précisément là que se trouve une mine d’expérience précieuse. Arrêtons de les mettre de côté. Laissons-les coacher les jeunes, accompagner les chantiers, transmettre leur savoir. »