La Belgique, passoire européenne de bois tropicaux illégaux
Comme la presse s’en est fait largement l’écho ces dernières semaines, la Belgique vient de se voir taper sur les doigts par la Commission européenne pour des manquements dans l’application du Règlement sur le Bois de l’Union européenne (Rbue) – un règlement qui interdit la mise sur le marché européen de bois illégal. Désormais, les autorités disposent de deux mois pour établir un plan d’action qui garantira une mise en œuvre crédible du Rbue en Belgique.
Si c’est la première fois que les instances européennes sanctionnent un état membre en raison de sa passivité dans la lutte contre le commerce de bois illégal, ce n’est pas d’hier que notre pays est considéré comme la passoire de l’Union européenne en la matière.
Pourtant, la Belgique est concernée au premier chef par les importations de bois en provenance de pays à risque. C’est le premier importateur européen de bois du Cameroun, le deuxième importateur de bois du Brésil et il en arrive aussi de République démocratique du Congo, de Malaisie, du Myanmar, etc. Des grumes qui débarquent par conteneurs entiers au port d’Anvers. Or entre 2008 et 2013, le port d’Anvers n’a procédé qu’à une seule saisie, fin 2012, d’une cargaison de bois tropicaux provenant d’abattages illégaux alors qu’à Rotterdam, un port proche et comparable, de telles saisies sont monnaie courante. Et depuis 2013, la Belgique n’a procédé qu’à 26 contrôles qui n’ont débouchés sur aucune sanction. A comparer avec les 350 contrôles opérés en Allemagne et les 150 contrôles réalisés aux Pays-Bas…
En mai 2013, les Douanes, dont c’est pourtant la compétence, reconnaissaient ne disposer, depuis 2008, d’aucun chiffre concernant l’importation et le trafic de bois illégal, d’aucun chiffre concernant les contrôles sur le commerce du bois et ne pas disposer de plus d’informations concernant l’importation systématique de bois illégal provenant de régions à risque!
Le port d’Anvers, talon d’Achille du trafic de bois illégal
Et cela se sait visiblement à l’étranger: avec 200.000 tonnes annuelles estimées, le port belge est devenu la plaque tournante en Europe occidentale de l’importation de bois provenant, entre autres, du bassin amazonien, du bassin du fleuve Congo et des forêts protégées d’Asie du Sud-Est. Selon le WWF, on estime qu’entre 10 et 30% du bois commercialisé dans le monde est illégal. La Belgique étant le 6e importateur de bois provenant de pays hors Europe et notamment d’États fragiles et en conflit, il y a fort à parier que du bois illégal se retrouve sur le marché belge ou soit réexporté à partir de notre territoire.
Selon Lieselot Bisschop, seule criminologue belge à s’être penchée sérieusement sur la question, il est clair que la Belgique se désintéresse totalement de ces trafics. Investissements humains et financiers insuffisants, manque d’expertise des services responsables et peu de soutien des parquets: les priorités vont aux trafics de drogue, d’armes et à la contrefaçon. Or, en traitant ce dossier par-dessus la jambe, la Belgique se rend implicitement complice de la déforestation qu’elle ne cesse pourtant de dénoncer par ailleurs.
Mais trop is te veel pour la Commission européenne qui a donc décidé de réagir. Et c’est plutôt efficace puisque Marie-Christine Marghem, la ministre fédérale de l’Environnement, vient de libérer un budget pour le recrutement d’un inspecteur additionnel en charge des contrôles sur le bois importé. Ces capacités sont venues renforcer le mois passé les maigres 0,5 équivalents temps plein qui étaient dédiés à cette tâche. Un effectif encore trop limité par rapport à la quantité de bois importé (à titre de comparaison, les Pays-Bas disposent de trois temps pleins pour une valeur de bois importé à peine supérieure), mais c’est mieux que rien.
Déforestation: l’autre fracture Nord-Sud
Les forêts couvrent aujourd’hui 31 % des terres émergées et pourraient jouer un rôle majeur face à la double crise – changements climatiques et perte de la biodiversité – qui affecte la planète. A ceci près que, selon la FAO (l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), près de 13 millions d'hectares de forêts (soit une surface presque équivalente à celle de l'Angleterre) disparaissent chaque année…
Ceci dit, toutes les forêts ne sont pas soumises à la même pression. Il faut distinguer deux réalités : celle des forêts de la ceinture subtropicale et celle des forêts tempérées (Europe et Amérique du Nord). Si les forêts tropicales connaissent effectivement une situation préoccupante sous les effets conjoints de la croissance démographique, de l’extension des pâturages, du défrichage industriel et du commerce illégal, il en va tout autrement des forêts tempérées, lesquelles s’accroissent chaque année. A titre d’exemple, la forêt belge s’est étoffée de près de 60% au cours du dernier siècle ! Et la surface forestière en Europe augmente d’un million d’hectares chaque année alors qu’on ne prélève que 64% de l’accroissement annuel…
Selon Interpol, le marché mondial du bois illégal représenterait de 50 à 150 milliards de dollars, soit presque autant que ce que rapporte le trafic de drogue chaque année (environ 240 milliards par an)! L’exploitation illégale de bois, si elle génère de formidables profits pour les trafiquants, représente par contre des pertes considérables pour les gouvernements des pays qui en sont victimes, estimées au minimum à 5 milliards de dollars, du fait des pertes de revenues par les taxes et les coûts de la lutte contre le bois illégal.