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Matériel

«Dans le futur, les carrières seront plus grandes et plus performantes»

Stijn Renier, directeur de Renier Natursteen et de la BNSA, nous a accordé une interview pour aborder la création de la BNSA, l’impact du Covid sur la pierre ou encore sa vision du futur du secteur. 

Stijn Renier
Berten Fotografie

1) Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis le directeur de Renier Natursteen, et notamment des Carrières de La Préalle et de Vinalmont. Nous extrayons la pierre bleue de Belgique et le calcaire de Vinalmont, et les transformons en produit fini pour la construction dans nos ateliers d’Aarschot. Avec ma sœur Evelyne, je fais partie de la 4éme génération de tailleur de pierre et marbrier et de la 2éme génération de carrier. 
Depuis le début de l’année, je suis également président de la BNSA (Belgian Natural Stone Association)

2) Pourriez-vous, avec vos mots, expliquer le rôle de la BNSA ?

La BNSA a été créée pour la promotion de la pierre naturelle. Nous voulons promouvoir son utilisation et changer les mentalités. Il y a en effet beaucoup trop d’idées reçues sur notre secteur et nous souhaitons rétablir la vérité sur un certain nombre de sujets. De plus, la pierre naturelle est un produit noble et unique. Nous avons donc pour mission d’éduquer le grand public et les professionnels à son utilisation. Les architectes sont les prescripteurs de nos produits, il faut donc également les sensibiliser à l’utilisation de la bonne matière pour la bonne application. Pour y arriver, nous proposons une série de formations en collaboration avec la Confédération Construction leur permettant d’en apprendre toujours plus. En outre, la BNSA va également organiser une série d’évènements comme les «Belgian Natural Stone Days» et les «Belgian Natural Stone Awards», une cérémonie qui permettra de récompenser des projets phares de notre secteur.
L’autre mission de la BNSA est de servir de plateforme de networking pour tous les acteurs du secteur de la roche ornementale et de la pierre naturelle. Nous voulons faciliter l’échange d’expérience entre les professionnels et être là pour répondre à leurs questions. 
 

3) Votre organisation couvre trois territoires distincts (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), quelles sont les différences que vous distinguez entre ces trois marchés ?

Ces trois pays ont comme tradition l’utilisation de la pierre ornementale. Mais, contrairement aux Pays-Bas et au Luxembourg, la Belgique possède ses propres carrières. La vision qu’ont ces trois pays envers la pierre ornementale est donc différente. Si l’on prend l’exemple de la pierre bleue, Il s’agit pour eux d’une matière importée: elle aura donc plus de valeur et ils préféreront la tailler à la main. Pour nous, c’est une matière locale plus appréciée pour son comportement technique que pour sa beauté. Elle est donc un peu plus considérée comme un produit de luxe aux Pays-Bas et au Luxembourg qu’en Belgique. Chez nous, l’utilisation de la pierre est beaucoup ancrée que chez nos deux voisins car, comme je l’ai déjà dit, nous avons la matière première dans nos sous-sols. C’est donc totalement logique. 

4) «Carrières» et «protection de l’environnement» font-ils bon ménage ?

Il faut savoir que la pierre naturelle a le plus faible taux d’émission de CO2 de tout le secteur de la construction, et peu de gens le savent malheureusement. En effet, la pierre est le seul matériau n’ayant pas besoin de chaleur. Et les émissions de CO2 émises pour avoir un produit fini sont amorties sur toute sa durée de vie, qui peut aller jusqu’à 300 ans. 

5) Quelles sont les spécificités de la pierre belge par rapport aux autres ?

Chaque produit est différent et incomparable. C’est très difficile de dégager une différence entre deux pierres provenant d’un pays différent. Mais si je devais en pointer une, ce serait l’empreinte carbone. Un produit importé a logiquement une empreinte carbone un peu plus haute qu’un produit local. Et en ces temps de pandémie, le discours de la consommation locale a pris une autre ampleur. Non seulement cela fait du bien à l’environnement, mais cela permet également à toute une économie locale de vivre et de prospérer. 
Cela dit, tous les types de pierres ne sont pas disponibles en Belgique. Pour avoir du marbre blanc par exemple, il faut en commander d’Italie. Et même si son empreinte carbone est plus élevée qu’une pierre bleue de Belgique, elle reste bien en-deçà de l’empreinte de tous les autres matériaux de construction. 

6) Comment la hausse des prix des matériaux affecte-t-elle le secteur de la pierre ?

On consomme un peu plus local car les prix en Belgique n’ont pas forcément augmenté, les salaires et les charges n’ayant pas bougé non plus. Mais au vu de l’augmentation du prix du transport, les prix sur les matériaux importés ont grimpé. Le Covid et le porte-conteneurs ayant bloqué le canal de Suez ont également eu leur incidence sur les prix. Est-ce que ces augmentations successives des prix vont durer? Il est encore trop tôt pour le dire.

7) Comment le marché européen a réagi à la forte concurrence venue d’Asie au début des années 2000?

Le Parti Communiste chinois avait mis en place des subsides pour couvrir une partie des salaires et des frais d’exportation des usines du pays. La main d’œuvre était donc très bon marché, et le prix final que payait le consommateur l’était aussi. Cependant, les importations provenant de la Chine et du Viêtnam ont fortement diminué ces dernières années. Le Parti Communiste chinois ne souhaite plus investir dans les carrières, notamment à cause des problèmes de pollution. Il a donc racheté des carrières pour les fermer. Par la suite, les salaires en Chine ont augmenté, pareil pour les frais de port. L’ensemble de ces facteurs a fait que le prix de la pierre chinoise est parti à la hausse. Cela nous a donc permis d’être plus compétitif sur le marché et les pays européens en profitent désormais. Mais il est important de rappeler que dans certains pays, cette concurrence a eu des effets dévastateurs. En Allemagne, un grand nombre d’usines de granit a fermé dû à cette concurrence. En Belgique, l’utilisation de la pierre est très fortement ancrée dans la tradition. De plus, les alternatives offertes par les marchés asiatiques n’étaient pas suffisamment convaincantes pour le marché belge. La combinaison de ces deux facteurs a donc permis au marché belge de mieux résister que son homologue allemand.

8) Quel a été l’impact de la pandémie sur le secteur ?

L’impact s’est réellement fait sentir l’année passée car beaucoup de chantiers se sont subitement arrêtés. Cette année, nous constatons une belle reprise grâce notamment aux secteurs des piscines et des terrasses. De plus, cette période a été l’occasion pour de nombreux belges d’adopter un nouveau point de vue sur leur habitation et de commencer de nouveaux projets de rénovation. Le marché résidentiel connaît donc une très belle reprise, ce qui n’est pas forcément le cas du non-résidentiel. En effet, peu d’entreprises cherchent à rénover leurs bureaux, ce qui entraîne un certain ralentissement du secteur. 
La hausse des prix des produits importés est également une conséquence de la pandémie, les frais d’importation entre l’Asie et l’Europe ayant flambé. 
A l’époque de la crise financière de 2008, les prix des pierres ont chuté mais aucune usine n’a dû fermer du jour au lendemain. Alors qu’en 2020, les usines se sont arrêtées et la demande a suivi le même mouvement. C’est du jamais vu. Mais, encore une fois, l’année 2021 a très bien démarré et nous espérons que ça va continuer. 
 

9) Voyez-vous d’autres menaces/opportunités pour la pierre belge ?

La plus grande menace provient des contrefaçons de la céramique belge. Il y a un travail d’éducation qui doit être fait de notre part à destination du public. Ces contrefaçons n’ont pas de patines, elles ne «vivent» pas comme les pierres originales. De plus, elles ont une durée de vie extrêmement limitée car leur motif est un dessin imprimé qui va peu à peu disparaître au fil du temps.  
Je n’aime pas parler «d’opportunité», mais le discours de la consommation locale est positif. Cela supporte l’économie belge et nous empli de fierté. Et cela vaut également pour les autres pays: nous n’allons pas encourager les irlandais à utiliser une pierre belge, tout du contraire. Consommer local est un geste citoyen, et chacun d’entre nous est concerné. 

10) Comment expliquez-vous le déclin du nombre de carrières de marbre belge ?

Les carrières ne sont malheureusement pas une source inépuisable de pierres. Lorsqu’elles sont vides, il n’y a plus rien à en retirer et elles ferment. 
Chaque carrière doit également faire des économies d’échelle: un bulldozer doit extraire un certain nombre de blocs de pierre pour être rentable. Selon moi, le nombre de carrières va encore chuter, mais celles qui subsisteront seront plus grandes et plus performantes en terme de volume d’extraction. Le temps des petites carrières de quelques ouvriers est révolu car ce n’est plus rentable. De plus, les exigences environnementales sont devenues drastiques, ce qui complique fortement l’ouverture d’une nouvelle carrière et son exploitation selon les règles en vigueur. 

11) Y-a-t-il des bâtiments emblématiques de la culture mondiale construit avec des pierres belges ?

Je peux vous en citer plein! Tout un étage de Harrod’s (à Londres) et certaines parties du nouvel aéroport de Berlin sont construites en pierre bleue de Belgique. La gare de Liège, le Capitole de Washington, le Château de Versailles,etc.
Le marbre noir et le marbre rouge ont connu une exportation massive, cela explique pourquoi on retrouve tant de pierres belges aux quatre coins du monde. La Belgique a aussi joué un grand rôle dans l’industrialisation du secteur grâce à des inventions qui y ont grandement participé. Je peux par exemple citer le fil diamanté facilitant l’extraction des blocs de pierre qui a été développé par Diamant Boart, société bruxelloise. Ou encore les lames d’armure diamantées pour couper des blocs en tranches ont été développées dans les années 50 à Schaerbeek. Et ce sont des inventions toujours utilisées de nos jours ! Il y a donc de quoi être fier de notre secteur. 

12) Comment voyez-vous le futur du secteur ? Y’a-t-il des tendances qui se dégagent ?

Certains traitements ont été élaborés pour permettre aux pierres d’être plus résistantes aux taches. Cela va sans doute devenir le meilleur allié du marbre et de la pierre calcaire. Enlever une tache sur une tablette de cuisine était extrêmement compliqué, mais cela va changer. 
Une autre solution innovante serait la location de pierres aux particuliers pour leur permettre d’en changer au gré de leurs envies. Pour cela, il faudrait trouver un moyen de monter et de démonter les revêtements de sol de manière efficace. Les dalles ayant été démontées pourront servir ailleurs et ainsi remplir leur mission jusqu’au bout. 
 
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