Travailler avec des sous-traitants : les bons comptes font les bons amis
Une bonne communication et des contrats bien clairs s’imposent lorsqu’un entrepreneur principal recourt à des sous-traitants, même s’ils ont établi une relation de confiance. C’est d’autant plus vrai qu’un grand nombre d’obligations sont venues s’ajouter ces dernières années. Quels éléments sont à prendre en compte et comment éviter les écueils ? Survol des principaux points d’attention.
Le contrat : d’une importance capitale
L’entrepreneur est libre de faire appel à un sous-traitant, sauf si le contrat avec le maître d’ouvrage l’interdit explicitement. Il est impératif à cet égard de rédiger correctement les contrats. Nadia Schepens, conseillère juridique chez Bouwunie : « Il n’est pas rare de voir dans la pratique l’entrepreneur principal et le sous-traitant échanger des accords verbaux sur base de la confiance. L’un des pièges les plus fréquents consiste à ne passer aucun engagement contractuel, ou à manquer de clarté dans ses termes ; en cas de discussion, il est alors impossible d’établir clairement quels sont les droits et devoirs de chaque partie. »
Déclaration de travaux
Cette mesure destinée à lutter contre les pourvoyeurs de main-d’œuvre permet à l’ONSS de visualiser les chantiers sur lesquels opèrent les entrepreneurs de travaux immobiliers. L’entrepreneur principal est tenu de déclarer la chaîne complète de sous-traitants. Cette déclaration obligatoire, qui se déroule de nos jours exclusivement en ligne, est connue sous différents noms : déclaration de chantier, déclaration 30bis, déclaration de travaux unique. Le nom correct est déclaration de travaux.
Enregistrement des présences
L’enregistrement électronique des présences s’applique aux chantiers à partir de 500.000 euros (hors TVA). Le non-respect de cette obligation entraîne des amendes. Via Checkinatwork, les employeurs et les entrepreneurs qui exécutent des travaux immobiliers sont tenus de déclarer la présence de personnes sur certains chantiers. Il existe quatre possibilités d’enregistrement, dont celle qui consiste pour chaque ouvrier à enregistrer sa présence. Pour plus de détails sur ces différentes possibilités, nous vous renvoyons au site web de la Sécurité sociale :
https://www.socialsecurity.be/site_fr/employer/applics/checkinatwork/general/manual.htm
Responsabilité
D’une part, il y a la responsabilité solidaire et l’obligation de retenue pour le paiement des dettes sociales et fiscales.
En tant qu’entrepreneur principal, vous pouvez être tenu responsable des dettes sociales et/ou fiscales de vos cocontractants. Pour éviter ce scénario, prenez soin de vous enquérir à temps de l’existence éventuelle de ces dettes et d’agir correctement en conséquence.
Cette réglementation s’applique aux travaux immobiliers. Il s’agit de presque tous les travaux qui concernent des bâtiments, y compris le nettoyage de bâtiments par des entreprises de nettoyage, les travaux de terrassement ou d’asphaltage, l’aménagement de jardins et de parcs, de voies d’accès et de parkings, etc.
D’autre part, vous pourriez être tenu de payer les salaires des travailleurs d’autres employeurs de la chaîne d’entrepreneurs dans laquelle vous vous trouvez. Le législateur entend ainsi lutter contre les pratiques abusives d’employeurs, notamment étrangers, qui versent à leurs travailleurs des salaires inférieurs à ceux imposés par la loi belge. Il existe deux réglementations stipulant que :
- chaque maître d’ouvrage, entrepreneur ou cocontractant peut être tenu de payer les salaires des travailleurs d’un sous-traitant situé en dessous dans la chaîne si celui-ci ne paie pas le salaire correct à ses travailleurs.
- la responsabilité incombe uniquement au cocontractant direct.
Informez-vous correctement auprès de votre organisation professionnelle sur la possibilité de vous couvrir contre cette responsabilité.
Attention
Vous faites appel à des sous-traitants étrangers ? Veillez dans ce cas à ce que tout se déroule dans les règles. Bouwunie énumère les principales obligations ainsi que les points d’attention dans quatre checklists disponibles en français, néerlandais et anglais.
ent garde au recours systématique à des sous-traitants. S’il apparaît qu’un sous-traitant exécute systématiquement des travaux pour vous sans pouvoir organiser lui-même le travail ni décider des congés, qu’il utilise votre matériel, etc., l’inspection peut en conclure qu’il s’agit d’un faux indépendant, avec toutes les conséquences que cela implique, telles que des amendes pour vous deux.
Nos remerciements à Nadia Schepens, conseillère juridique chez Bouwunie
Marchés publics : points d’attention
Vous participez à des marchés publics en qualité
d’entrepreneur principal ? Dans ce cas, vous devez observer la loi relative aux
marchés publics, qui impose diverses obligations :
- À l’obligation d’identifier vos sous-traitants s’ajoutent deux mesures légales visant à lutter contre le dumping social : l’agréation de tous les sous-traitants et la limitation de la chaîne.
- Les sous-traitants, quelle que soit la place qu’ils occupent dans la chaîne de sous-traitance et proportionnellement à la partie du contrat qu’ils exécutent, sont tenus de respecter les dispositions de la réglementation relative à l’agréation. Concrètement, en tant qu’entrepreneur principal, vous ne pouvez plus confier qu’un seul contrat dans la chaîne (ou, en tant que sous-traitant, l’accepter d’un entrepreneur principal) en respectant les règles de l’agréation. Les contrats de sous-traitance répartis dans les catégories (D, E, G etc. jusqu’à 75.000 euros hors TVA) et/ou les sous-catégories (D1, P1, G5 etc. jusqu’à 50.000 euros hors TVA) en sont exemptés. Si ces seuils sont franchis, le sous-traitant doit être agréé selon les règles d’agréation applicables dans la bonne (sous-)catégorie et classe.
- Lorsque le marché est attribué à une entreprise générale, la limitation de la chaîne de sous-traitance à trois niveaux s’applique. Si le marché est déjà divisé en lots, la limitation à deux niveaux s’applique.
- Il existe deux exceptions à cette limitation de la
chaîne. La première concerne les circonstances imprévues, c.-à-d. lorsqu’un
niveau supplémentaire est signalé à l’administration dans les 30 jours qui
suivent la survenue des circonstances imprévues. La seconde exception, qui
autorise encore un niveau supplémentaire à ce jour, s’applique lorsque
l’administration a donné préalablement son accord écrit à ce niveau
supplémentaire.
Les sous-traitants ne sont pas autorisés à sous-traiter l’intégralité de leur part du contrat. Il leur est également interdit de ne conserver que la coordination du contrat.
« Tout commence par une description claire de la demande de prix »
Basée à Roulers, l’entreprise générale All-Bouw est spécialisée depuis 1997 dans la construction, la rénovation, la restauration et les projets clé sur porte. Cette entreprise familiale, qui dispose d’une agréation de classe 4, opère essentiellement en Flandre Occidentale et Orientale. Son équipe permanente se compose d’environ 25 collaborateurs. Par le biais de la sous-traitance, All-Bouw fait appel à quelque 100 à 150 partenaires externes, selon la charge de travail.
Simon Alleman, administrateur délégué : « Notre équipe interne se concentre sur les fondations, la maçonnerie, la rénovation et la restauration. Tous les autres lots sont sous-traités, de même que certains lots fondation et gros-œuvre afin de disposer d’une capacité supplémentaire. Nous aimerions connaître une croissance organique afin de devenir une entreprise de classe 5, mais il n’est pas simple de trouver des collaborateurs adéquats pour étoffer notre équipe interne. Nous travaillons toujours avec d’excellents sous-traitants attitrés, avec lesquels nous entretenons une relation de confiance. Nous optons résolument pour des sous-traitants locaux. Si nos sous-traitants emploient des étrangers, il s’agit de personnes qui résident et travaillent effectivement ici. »
Éviter les pièges
Chez All-Bouw, la collaboration avec les sous-traitants passe par une description claire de la demande de prix. Simon Alleman : « Pour quels postes demande-t-on un prix ? Uniquement pour les travaux, ou également pour la sécurité, l’éclairage ? Qui prend ces postes en charge ? L’entrepreneur principal ou le sous-traitant ? Tous ces points sont à préciser dans un contrat qui sera adapté à l’ampleur des travaux, sans excès ni manquements. L’utilisation des documents types mis à disposition par les fédérations professionnelles permet selon moi d’éviter 95% des pièges. Il est également essentiel que les accords contractuels conclus soient sérieux. Si l’entrepreneur principal néglige de s’en assurer et de sanctionner les infractions, c’est qu’il manque d’éthique et qu’il refuse par définition de travailler en toute sécurité. »
Vers une meilleure pratique de la sous-traitance
Les règles et formalités administratives vont-elles toutes rester gérables pour l’entrepreneur principal ? Simon Alleman : « Un peu de simplification, davantage de directives globales et une plus grande uniformité seraient les bienvenues. Dès lors que tous les éléments sont connus, les choses se passent bien, notamment grâce à notre personnel de bureau qui fixe toutes les règles dans des contrats clairs. Si le Checkinatwork s’applique, nous le communiquons de façon bien visible sur le chantier. Lorsque des ouvriers employés par des sous-traitants oublient malgré tout de s’enregistrer, ce n’est pas sans conséquence sur nous en tant qu’entrepreneur principal. Nous serons alors personnellement accusés d’avoir commis une infraction. Nous avons certes notre obligation de suivi, mais cela demande beaucoup de travail. »
Selon Simon Alleman, tout commence par la manière de lancer les appels d’offres : « Les critères pourraient être formulés plus finement. Il arrive hélas encore souvent que les soumissionnaires les plus bas aient le plus de chances d’être sélectionnés, d’où le risque d’avoir affaire à ces parties malhonnêtes. »
Le contrôle est-il suffisant ? « L’inspection sociale a déjà visité plus d’une fois nos chantiers relativement petits. Or, les contrôles devraient être beaucoup plus ciblés. Tout le monde sait aujourd’hui dans le secteur de la construction où les cow-boys sont à l’œuvre. Ce n’est pas une campagne de sensibilisation qui les neutralisera. Toutes les parties intéressées devraient également communiquer davantage et mieux entre elles. »
Deuxième Plan pour une Concurrence loyale (PCL) dans la construction
Le 21 février 2024, le gouvernement fédéral, les services fédéraux d’inspection et les partenaires sociaux du secteur de la construction ont signé le deuxième Plan pour une Concurrence loyale. Le premier datait de 2015. Ce plan contient des mesures visant à lutter contre la fraude sociale et le dumping social dans le secteur de la construction. Quelques points importants :
- Les partenaires sociaux demandent de mentionner les noms des associés actifs dans la banque de données de la BCE, afin de permettre aux entreprises de construction de mieux détecter les abus de statut en matière de sécurité sociale.
- Les partenaires sociaux réclament une base de données salariales des entreprises étrangères afin de renforcer l’efficacité de la lutte contre le dumping social.
- Afin de soumettre les étrangers aux mêmes règles que les PME belges de construction, en particulier l’obligation de retenue pour les dettes fiscales, les partenaires sociaux du secteur veulent élaborer des mesures visant à percevoir correctement l’impôt des non-résidents (INR).
- Qui dit règles moins complexes dit moins d’infractions. La numérisation et la simplification administrative s’imposent donc.
- Une meilleure application des règles de sécurité parmi les travailleurs et employeurs étrangers.
- Lutte contre la traite des êtres humains : à cet effet, les partenaires sociaux comptent sur les autorités locales pour mettre fin aux séjours en conteneurs ou aux séjours massifs à la même adresse.
- Lutte contre le travail intérimaire illégal en provenance de l’étranger (approche Benelux).
- Accords bilatéraux en matière de sécurité sociale : l’institution belge de sécurité sociale peutt ainsi percevoir les cotisations des étrangers qui travaillent ici et les reverser et/ou les imputer à la sécurité sociale étrangère. Cela permet d’une part de s’assurer de la perception, mais aussi et surtout d’organiser un contrôle plus efficace des travailleurs détachés en Belgique.