Les modèles « en tant que service » font fureur dans le secteur de la construction
La formule « en tant que service », ou « as a service » (AAS), pourrait apporter des recettes récurrentes au secteur de la construction et du génie électrique dans les années à venir. Pourtant, tout le monde est loin de connaître ce terme, et encore moins ses avantages et ses inconvénients. Il est néanmoins prometteur, puisque les organisations financières montrent déjà un grand intérêt pour l’investissement dans les start-ups qui mettent en place des projets « en tant que service ».
Grâce au
modèle AAS, un service est offert pendant une certaine période sans que
l’utilisateur ne devienne propriétaire du produit. Le fabricant ou le
fournisseur est responsable de l’entretien et du bon fonctionnement, et peut
être rémunéré pour les bénéfices opérationnels. La formule n’est donc pas la
même que celle du leasing, qui est une pure forme de financement avec un
service minimal. Le modèle ASS a vu le jour dans le monde de l’informatique et
s’est étendu ces dernières années aux secteurs de la construction et de
l’électrotechnique. Au départ, la formule était surtout utilisée dans le
domaine de l’éclairage, mais aujourd’hui, son champ d’application est plus
large. « Nous constatons une évolution intéressante vers l’immobilier et
l’énergie », déclare Arne Allewaert d’Amavi Capital, un fonds
d’investissement européen axé sur la technologie immobilière. « Je prédis
qu’à moyen terme, nous offrirons tout en tant que service. » Tim Govaert,
d’Aconterra Fund, une société qui investit dans des start-ups qui rendent les
bâtiments plus intelligents et plus efficaces sur le plan énergétique, affirme
que les jeunes en particulier attachent moins d’importance à la propriété.
« La combinaison de la location et de la prise en charge complète devient
de plus en plus populaire parmi les jeunes professionnels. »
Conclure de
bons accords
Pour proposer
une formule « en tant que service », le suivi et les données qui en
découlent sont essentiels. « En tant que fabricant ou installateur, cela
vous permet également d’apprendre comment et où le produit est utilisé, et
quand il tombe en panne », explique Jeroen Vrijders, responsable du
laboratoire de durabilité et de solutions circulaires chez Buildwise. « De
cette façon, vous pouvez rendre les bâtiments et les produits encore plus
performants au fil du temps. » Selon Wim Boone d’Ingenium, de bons accords
sont essentiels. « Lorsque les systèmes des bâtiments sont reliés entre
eux, les attentes doivent être bien définies au préalable. Dans le meilleur des
cas, il n’y a qu’un seul point de contact. » Viviane Camphyn,
administratrice déléguée de Nelectra (fédération du secteur de l’électro),
plaide également en faveur d’un cadre clair. « Si vous n’êtes pas
propriétaire, vous aimeriez quand même savoir ce qu’il advient des
produits/composants en fin de vie. » Jean-Pierre Waeytens,
administrateur délégué de Bouwunie ajoute : « Le client doit
également être bien informé sur le degré d’exhaustivité de l’offre en tant que
service. Est-ce que tout est inclus ? Avec les systèmes de chauffage, par
exemple, il est nécessaire d’entretenir également votre cheminée. »
Un tas
d’avantages
« Le coût
d’investissement devient un coût opérationnel annuel pour le
constructeur », explique Olivier Vandooren, directeur général de
Buildwise. « C’est une structure intéressante si vous avez du mal à
obtenir des fonds d’investissement, mais que vous disposez de fonds
opérationnels. Pour les entrepreneurs, l’avantage est que les solutions peuvent
devenir plus abordables pour le maître d’ouvrage et qu’ils peuvent établir une
relation à long terme avec le client. En outre, les activités AAS et
l’entretien génèrent également de nouvelles recettes récurrentes. Enfin, la
formule peut s’avérer intéressante sur le plan environnemental. Il y a en effet
un intérêt à proposer des solutions de meilleure qualité qui durent plus
longtemps et peuvent avoir une seconde vie. » Selon Niko Demeester,
directeur général d’Embuild, la construction et l’entretien peuvent être
optimisés et la solution la moins chère peut être choisie dans une vision à
long terme. « L’évolution vers des habitations et des bâtiments
intelligents amène les professions de la construction à devenir plus
technologiques. Outre les travaux d’installation, les entrepreneurs assument
également une mission de conseil en matière de techniques innovantes. De
nombreux professionnels ont ajouté la maintenance prédictive à leur modèle
d’entreprise, garantissant ainsi un temps d’arrêt minimal, une durée de vie
maximale et un confort maximal. » Même pour l’utilisateur final, le modèle
AAS présente des avantages. « Le client ne doit pas préfinancer l’appareil
de base », explique Jean-Pierre Waeytens. « Cela permet à un
public plus large d’accéder à des systèmes plus modernes, plus coûteux et plus
respectueux de l’environnement. »
Revers de
la médaille
Tout ce qui
brille n’est pourtant pas d’or. « Les clients perdent le contrôle de
l’entretien, des réparations et des matériaux choisis », explique
Niko Demeester. « La société AAS remplacera régulièrement certaines
pièces à titre de précaution, alors que certaines pièces auraient pu durer
encore six mois ou plus. En outre, nous constatons que le modèle AAS nécessite
beaucoup de personnel spécialisé et que le secteur de la construction a du mal
à pourvoir les postes vacants depuis un certain temps. » Arne Allewaert
voit un autre problème. « De plus, de nombreux logiciels doivent être
reliés entre eux. Le manque d’harmonisation est l’un des plus grands problèmes
dans ce domaine. »
Vers un
nouveau modèle économique ?
Il est déjà
intéressant de noter que la formule AAS peut apporter un modèle économique alternatif.
« Le secteur de la construction doit faire quelque chose pour réduire ses
émissions et son impact sur l’environnement », déclare Rik Steensels,
chercheur et business developer au sein du groupe de recherche en ingénierie de
la construction de l’UHasselt. « La réutilisation des matériaux, des
structures et des composants entre alors en ligne de compte. » Selon
Niko Demeester, la conversion nécessite des ressources financières
supplémentaires, du personnel et une organisation adaptée. « Ce n’est pas
facile, aussi certains entrepreneurs se spécialiseront-ils dans le domaine de
l’AAS, tandis que d’autres se recentreront en tant que sous-traitants de ces
entreprises. » Nelectra voit un avantage supplémentaire. « Les
rentrées sont beaucoup plus sûres pour les acteurs de l’AAS, car le client
revient toujours », déclare Viviane Camphyn de Nelectra. Certes, les
entreprises doivent disposer d’une trésorerie et de fonds propres suffisants
pour financer les projets. « Il faut avoir une visibilité sur les risques,
sur le modèle de revenus et, idéalement, sur la valeur résiduelle »,
explique Jeroen Vrijders. Selon Arne Allewaert, les fonds publics, les
banques, les fonds de pension et les grands fonds d’infrastructure font
preuve d’un grand intérêt pour le marché « en tant que service ».
« Cela ne devient intéressant que lorsque des économies d’échelle sont
réalisées. Ce sera alors moins cher pour l’utilisateur final et ce ne sera pas
seulement un modèle de revenus pour l’entrepreneur. »
Engament à
long terme
Dans la
pratique, nous voyons de plus en plus de petites entreprises de construction se
concentrer sur l’AAS. « Ces acteurs semblent ouverts à cette
formule », déclare Jean-Pierre Waeytens. « Nous devons veiller à
ce qu’ils ne soient pas supplantés par les grands acteurs. » L’entreprise de construction Vanhout est certes un acteur
important qui propose depuis deux ans l’« énergie en tant que
service ». Elle le fait cependant par l’intermédiaire de ComTIS Energy,
une ESCo qui fonctionne selon un modèle commercial DBME. Bert Lenaerts,
directeur général : « Les projets AAS n’ont de sens que si l’on veut
s’engager à long terme. Parier uniquement sur les coûts de construction n’est
pas viable. À Diest, nous avons construit un immeuble d’appartements pour
lequel nous avons conçu les installations techniques. Nous sommes en outre
responsables du refroidissement, du chauffage et de l’entretien pour les
15 prochaines années. Nous avons investi dans des techniques durables,
comme un champ BTES, et opté pour des pompes à chaleur de qualité et plus
chères, car nous les rentabilisons en termes d’entretien. »
Difficilement
conciliable avec le D&B
Souvent, les
grands bâtiments sont réalisés selon la formule « design and build »,
où l’exécutant (l’entrepreneur) décide de ce qu’il veut offrir au client.
« Nous constatons qu’ils sont réticents à fournir des solutions AAS si
cela n’est pas spécifiquement demandé dans le cahier des charges »,
déclare Thijs Eeckhaut, juriste d’entreprise à la Fédération des entrepreneurs
généraux de la construction (FEGC). « En effet, l’un des facteurs les plus
décisifs dans l’attribution ou non d’un contrat est le coût. Les entrepreneurs
se sentent obligés de respecter strictement les dispositions du cahier des
charges pour remporter le marché. » Embuild rejoint la FEGC. « En
effet, avec le D&B, il semble difficile d’opter pour des solutions AAS à
moins qu’elles ne soient prescrites ou convenues avec le client avant ou
pendant le processus de négociation », déclare Marc Dillen, directeur
chez Embuild. Les entrepreneurs indiquent également que l’investissement dans
les services AAS n’est pas pris en compte dans le coût de la construction, mais
qu’il l’est dans le coût de l’entretien. Cela affecte la valeur actuelle nette
(VAN), ce qui fait que l’appel d’offres AAS présente le risque que vous, en
tant qu’entrepreneur, soyez jugé négativement sur ce point.
Plus simple
avec les projets DBFM
Selon Embuild,
pour les projets DBFM (Design - Build - Finance -
Maintain), la situation est plus nuancée, surtout si les solutions AAS sont
mises à l’échelle et que davantage de critères de durabilité sont inclus dans
le cahier des charges. « Dans ce type de projets, les contrats s’étendent
sur une plus longue période et le règlement se fait par le biais d’indemnités de
disponibilité périodiques qui comprennent en partie les coûts de construction,
d’entretien et de financement. Cela permet à ces éléments de s’équilibrer
mutuellement », explique M. Dillen. « Les aspects importants sont la
durée du contrat et la possibilité de mieux répondre à certains critères
d’attribution et au programme d’exigences grâce à l’AAS... »
De
l’éclairage au confort
Il existe déjà
de nombreux exemples d’AAS. Ainsi, avec « Circular Light as a Service »,
Etap Lighting garantit une puissance lumineuse souhaitée pour une consommation
d’énergie inchangée. « Cela se fait sur une période que nous déterminons
avec le client en fonction du nombre d’heures de fonctionnement »,
explique Michael Joris. « Nous pouvons également convertir des
luminaires existants en luminaires LED économes en énergie grâce à une solution
de rénovation personnalisée. De cette manière, nous réutilisons les anciens
luminaires au maximum et réduisons ensemble la montagne de déchets. »
L’AAS est également une formule idéale pour le suivi et la gestion des
installations à distance. C’est notamment le cas au Kamp C. « L’immeuble
de bureaux circulaire est rempli de codes QR où les gens peuvent indiquer
comment ils expérimentent le confort », explique Rob Van Dun de
Calculus. « Grâce à notre algorithme intelligent, nous contrôlons le
climat en fonction de ces informations. Le maître d’ouvrage peut vérifier si
les performances sont effectivement atteintes. En cas de défaut, un
installateur de maintenance ou le gestionnaire de l’établissement est
immédiatement prévenu. Nous constatons qu’avec ces projets écologiques, nous
avons du travail pour longtemps et nous obtenons plus facilement des marchés
publics. Les banques sont également plus enclines à investir dans de tels
projets. »
Même des
systèmes de cloisons et des meubles
Juunoo a quant
à lui conçu un système de cloisons clipsables que l’entreprise rachète après
utilisation à 30 % de leur valeur initiale. Chris Van De Voorde,
chef d’entreprise : « D’ici 2030, nous voulons que toutes les
cloisons soient circulaires. C’est pourquoi nous étudions actuellement la
possibilité de créer une MASCO, ou « Material as a Service Company ».
La start-up gantoise Hitch.tools
est spécialisée dans la conception et la fabrication d’installations, de meubles
et d’aménagements complets démontables et réutilisables. Grâce aux outils
Hitch.tools (connecteurs d’angle modulaires en acier), toutes sortes de meubles
et d’installations temporaires peuvent être facilement assemblés et sont
réutilisables à 100 % à chaque fois. Hitch offre de l’AAS au niveau de la
conception, des matériaux, de l’assemblage... « Aujourd’hui, nous
explorons les moyens d’étendre et d’optimiser les services d’entretien et de
réaménagement », explique Esther Laga, architecte d’intérieur et
fondatrice de l’entreprise.
Les tours
du WTC comme exemple
Les anciennes
tours du WTC à la gare du Nord sont en cours de rénovation pour devenir des
immeubles intelligents comprenant des bureaux, des logements et un hôtel. Ingenium conseille l’Autorité flamande
(principal locataire du bâtiment) à cet égard. Chaque mois, le système de
gestion du bâtiment produira un rapport sur le confort, la température,
les niveaux d’éclairage, l’énergie... qui sera évalué en fonction des niveaux
de service convenus pour l’énergie et le confort. « La collecte de données
sur un bâtiment n’est pas une fin en soi », explique Wim Boone.
« Il faut mettre en relation les données liées à l’utilisation et à
l’énergie provenant de différents bâtiments, les traiter à l’aide de
l’intelligence artificielle et les relier ensuite aux différents bâtiments.
L’optimisation n’est possible que si les bâtiments en exploitation peuvent
apprendre les uns des autres. »
Living as a
service
Sur le marché
du logement, on commence même à parler de « living as a service ».
L’objectif est de fournir aux personnes un logement qui réponde à leurs besoins
spécifiques à différents stades de leur vie. Un acteur intéressant est Skilpod,
qui produit des logements abordables et économes en énergie. « Grâce à la
plateforme Cocosi, nous restons propriétaires, nous pouvons rendre les projets plus
durables et les entretenir nous-mêmes, ce qui permet notamment de réduire le
coût de l’énergie », explique le directeur général Jan Vrijs.
« Si nous étendons les modèles d’exploitation de 20 à 50 ans, nous
pouvons réduire encore davantage le coût d’utilisation mensuel. Parmi nos
locataires/utilisateurs, la rotation et les défauts de paiement sont faibles.
Vous ne pouvez convaincre les gens de passer d’un modèle de propriétaire à un
modèle d’utilisateur que si le coût de l’utilisateur (coût total d’utilisation)
ne dépasse pas le coût du propriétaire (coût total de possession). Pour nous,
c’est l’essence même de la notion de « en tant que service ». Une
fois ce changement opéré, les solutions AAS révolutionneront le secteur de
l’immobilier. »
Énergie verte
Enfin, un
exemple important : la plateforme logicielle Aug-E propose un modèle AAS
dans lequel des algorithmes intelligents prévoient et contrôlent l’impact
énergétique et financier du profil énergétique attendu. Le logiciel choisit la
solution la moins chère et utilise autant que possible l’énergie verte.
« Par exemple, les bornes de recharge ne se chargeront que lorsque le
soleil commencera à briller », explique Maarten Vyncke. « S’il
n’y a pas de soleil prévu le matin, nous utilisons l’énergie bon marché achetée
pendant la nuit et stockée dans la batterie. Il faut réaliser de nombreuses
connexions entre les différents produits matériels et logiciels. Cela
représente un défi, car de nombreux fournisseurs de matériel ont chacun leur
propre protocole ou parlent leur propre langue. Nous travaillons entre autres
avec une ESCo, une organisation qui fournit des solutions énergétiques intégrales
à ses clients. Elle investit notamment dans un système moderne de gestion des
bâtiments et dans l’isolation. Pour ce faire, ils facturent un montant
forfaitaire, après quoi la plateforme Aug-E optimise tout cela et le rend
rentable. »