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Management

paywall Les évolutions récentes exigent des calculateurs créatifs

Le renforcement de la réglementation, les capacités numériques et la modification de la situation économique – inflation – mais aussi la part croissante des rénovations et des reconversions, obligent les calculateurs des entreprises de construction à sortir des sentiers battus et surtout à ne pas s’enfermer dans leur bureau. Nous avons interrogé quelques spécialistes et professionnels de terrain.

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Pixabay

« Le calcul traditionnel se déroule essentiellement sur la base des prix unitaires au mètre carré et des prix connus de la concurrence », explique Mike Bogaerts, conseiller chez Buildwise. « Tant que les affaires tournent bien, c’est suffisant, mais en période de tension sur les marchés de la construction, cela ne suffit plus. En général, les calculateurs habiles peuvent alors inclure d’autres facteurs, comme les variations de prix des fournisseurs et les indexations, mais ils n’ont vraiment pas le temps de mettre en perspective tous les détails nécessaires à l’établissement des coûts essentiels. Il est inutile de compter chaque vis. »

Pertes

Selon M. Bogaerts, les principales pertes encourues dans les projets de construction sont les heures « perdues ». « Les entrepreneurs paient à leurs collaborateurs et sous-traitants non seulement les heures précalculées, mais aussi toutes leurs heures de présence sur le chantier. Il y a des centaines de raisons qui peuvent expliquer de gros écarts entre ces deux masses horaires. Il n’est pas possible de les mesurer séparément, mais bien globalement. Sans compter la loi des grands nombres qui s’applique : plus il y a de collaborateurs impliqués dans un projet, plus le risque de pertes d’heures est élevé. »

« Un deuxième poste de perte sensible est celui des matériaux perdus, c.-à-d. la différence entre les matériaux achetés chez les fournisseurs et les matériaux réellement facturés aux clients. Ajoutons que les entreprises de construction se heurtent régulièrement à de vieilles habitudes, comme celle de conserver par défaut des matériaux excédentaires spécifiques, bien que cela varie en fonction du sous-secteur. Or, non seulement le fait de posséder un espace de stockage a un coût, mais son organisation nécessite également des heures de travail, ne fût-ce que pour déplacer les palettes. Une bonne méthodologie de calcul tient compte de ces éléments. »

Logiciels à la pelle

« Il y a des centaines de logiciels dédiés aux secteurs de la construction sur le marché », poursuit M. Bogaerts. « L’offre est également étendue en matière de calcul. La plupart des fournisseurs promettent le paradis sur terre, mais ne mentionnent guère le temps ni les efforts nécessaires à l’implémentation et à la maintenance des programmes. Sans compter que la décision d’acquérir ce type de programme est souvent mal préparée. Or il s’agit d’abord d’analyser correctement quels collaborateurs et services internes ont besoin de quelles fonctionnalités. Sous peine de dépenser trop d’argent pour la version la plus complète d’un logiciel, avec des options qu’ils n’utiliseront jamais, ou d’acheter des versions sur mesure hors de prix."

Pour les petits entrepreneurs, les coûts liés à l’achat de logiciels spécialisés pèsent lourd. « Et ce alors que l’un des objectifs premiers des programmes de calcul devrait être de maîtriser les coûts. C’est pourquoi nous avons spécialement développé pour ces entreprises Calc&Go, un outil basé sur Excel, téléchargeable gratuitement. Aucune connaissance approfondie en informatique n’est requise pour l’utiliser. Il calcule notamment le tarif horaire minimum nécessaire, les marges utiles sur les matériaux et les entrepreneurs et les réserves à constituer pour les nouveaux investissements. Il s’agit donc d’une excellente base pour l’élaboration de devis. Il faut cependant constamment mettre à jour les données. » Calc&Go ne fonctionne pas avec des feuilles de calcul open source. « Parce qu’il utilise des macros. Les plateformes open source ne peuvent les gérer que de manière très limitée. »

Initiative belgo-néerlandaise

« La numérisation se poursuit lentement et n’est plus laissée aux seuls développeurs de logiciels », ajoute Peggy Bovens, fondatrice de la société de conseil PB calc & consult. « En Flandre, l’Agentschap Facilitair Bedrijf a publié en 2022, en collaboration avec BouwData et la société de consultance Bimplan, la première version du livre blanc 'Eénduidig framework voor nacalculatie en 5D BIM' (traduisez : code unifié pour le calcul a posteriori et le BIM en 5D). Il a été suivi d’une deuxième édition en février 2024 et, en août 2024, d’un addendum qui aligne le coût d’exécution général (CEG) sur le modèle néerlandais du CEG (AUK) de 2023. Ce livre blanc constitue une première étape. Il permet d’extraire de manière standardisée les chiffres clés des coûts à partir des dossiers as-built. Ces chiffres peuvent ensuite être exploités dès les premières étapes de conception d’un projet ultérieur. Une commission belgo-néerlandaise de la SfB étudie la possibilité de l’approfondir, de manière à pouvoir continuer à normaliser les étapes suivantes du processus de conception en termes de contrôle des coûts. Ici aussi, c’est l’Agentschap Facilitair Bedrijf qui prend les devants. »

Maladies de jeunesse du BIM

« Malheureusement, le logiciel BIM initial a été mal commercialisé. Au départ, il a été vendu aux architectes, sans préciser le temps nécessaire à l’encodage correct de tous les paramètres, permettant aux entrepreneurs d’y trouver également les informations nécessaires. Ce n’est qu’après la mise en place d’un système de calcul digne de ce nom et auquel la majeure partie du marché adhèrera, que le BIM en 5D pourra être pleinement déployé et que les quantités de matériaux nécessaires et celles requises pour le calcul a posteriori pourront être calculées automatiquement. Mais en attendant, le BIM en 5D BIM fonctionne essentiellement sur des îlots autonomes, rendant quasiment impossible l’évaluation comparative des projets et de l’ensemble du marché de la construction. »

Influence de la réglementation

« Le renforcement de la réglementation n’entraîne pas de différences majeures pour le calcul des coûts de base », estime M. Bogaerts. « Il est toutefois recommandé de détailler certains éléments dans le cahier des charges. Je pense par exemple au pompage des eaux souterraines. Dans certains cas, l’entrepreneur n’est pas autorisé à les déverser dans les caniveaux des rues voisines ou dans les eaux de surface, et est tenu d’installer des citernes et de les mettre en transport dès qu’elles sont pleines, ou d’aménager un système de canalisation temporaire de parfois plus de 100 mètres. »

« Bon nombre d’entrepreneurs pensent trop aisément qu’ils seront trop chers. Pourtant, les calculs mal estimés sont rarement la cause d’une faillite. Une étude plus ancienne a démontré que c’était essentiellement le manque de management d’entreprise qui posait problème à cet égard. Il n’existe pas d’études récentes, mais je suppose que la situation n’a pas changé, surtout depuis l’abolition de la Vestigingswet (loi sur le droit à ‘établissement). »

Influence de facteurs externes

« Les réglementations plus strictes font grimper les prix des travaux de construction, mais c’est surtout l’incertitude qui plane sur la situation globale du marché qui complique la donne : les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient, un pétrolier qui bloque le canal de Suez pendant plusieurs jours, une éruption volcanique qui paralyse le trafic aérien, une pénurie soudaine de matières premières rendant certains types d’isolation temporairement indisponibles, l’incertitude d’obtenir un permis de construire, … sont autant d’éléments sur lesquels personne n’a de contrôle », déclare P. Bovens.

« Suite à l’augmentation importante et subite des prix de la construction depuis la crise du Covid et la guerre en Ukraine, il est plus compliqué d’établir des devis conformes aux budgets des maîtres d’ouvrage privés », ajoute une grande entreprise générale de construction. « En conséquence, nous devons multiplier les révisions d’offres, en nous concentrant sur des variantes et des économies qui réduisent le prix. Il ne s’agit donc plus de remettre l’offre la plus compétitive, mais celle qui présente le plus d’optimalisations et d’économies. « Dans le cadre des adjudications publiques pour les plus grands projets, ce n’est pas le prix le plus bas qui l’emporte par défaut ; d’autres critères d’attribution entrent également en compte. C’est une évolution saine, même si elle implique nettement plus d’efforts pour publier des annexes portant sur les critères d’attribution supplémentaires en termes de qualité, de planification et de durabilité. »

« Les fournisseurs et sous-traitants préfèrent se concentrer sur les dossiers qui sont déjà en phase d’exécution, car ils ont plus de chances d’aboutir à un contrat effectif », note P. Bovens. « Ils ne répondent à des appels d’offres que s’ils en ont le temps. Les entrepreneurs généraux peuvent se positionner de façon plus compétitive à cet égard s’ils collaborent convenablement avec leurs propres services d’exécution, pour autant que leurs structures de rémunération internes n’y fassent pas obstacle. Si les exécutants sont récompensés parce qu’ils parviennent à maintenir les coûts réels en deçà des coûts calculés, ils seront moins tentés d’informer les calculateurs de la manière dont ils y sont parvenus. »

Peggy Bovens (PB calc & consult).

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PB calc & consult

Un monde idéal

« Dans un monde idéal, les estimations des coûts de construction sont fréquemment ajustées tout au long du processus de conception », explique P. Bovens. « Il existe des critères permettant de confronter en pratique les coûts aux fonds disponibles. Ces critères se basent sur le plan de travail britannique RIBA et sur la norme néerlandaise NEN2699. RIBA organise le processus de briefing, de conception, de construction et d’exploitation des projets de construction en 8 phases, détaille les résultats de chaque phase, décrit les tâches clés et désigne les informations à échanger à chacune des phases. Il y a 5 rôles d’équipe : le maître d’ouvrage, l’équipe de gestion de projet, l’équipe de conception, l’équipe de construction et l’équipe de gestion des actifs. En différentes étapes, à mesure que le processus de conception progresse, les coûts des groupes d’éléments, des éléments et des sous-éléments sont examinés à la lumière des ratios de coûts des projets déjà réalisés. On utilise notamment pour ce faire des plans de stabilité et des notes de confort en matière d’installations techniques. Une fois que toutes les solutions techniques possibles sont connues, on peut se tourner vers le marché pour solliciter des devis aux fournisseurs et aux sous-traitants, et aboutir ainsi à un calcul. »

Maîtrise des coûts

La maîtrise des coûts est l’un des défis les plus difficiles à relever pour les calculateurs. « Le coût d’exécution général (CEG) comprend l’aménagement du chantier, la préparation des travaux et la gestion du projet », explique P. Bovens. « Les maîtres d’ouvrage ont tout intérêt à demander aux concepteurs d’inclure ces trois éléments de manière très explicite dans leurs métrés. Une grande partie des CEG est aujourd’hui considérée comme des coûts indirects, qu’il convient de répartir sur les postes de production pure. À solution technique identique, ces derniers sont quasiment les mêmes pour tous les entrepreneurs puisqu’ils contactent les mêmes fournisseurs et sous-traitants. Ils se distinguent par leur savoir-faire en termes de préparation des travaux et de gestion de projet sur site, ainsi que par le service supplémentaire qu’ils peuvent offrir, en suggérant des alternatives par exemple. Autant d’aspects qui ne peuvent pas être abordés dans le cadre d’un appel d’offres traditionnel, purement basé sur le prix. »

« Il est essentiel de surveiller en permanence les dépenses tout au long du processus de conception et de construction et de les mettre en balance avec les fonds disponibles. Cela implique d’être constamment créatif et, pour l’équipe de construction, d’anticiper conjointement et au mieux le marché et les exigences souvent changeantes du maître d’ouvrage. »

« Nous devons souvent ajuster les calculs parce que le budget du client est inférieur au devis initial », affirme un calculateur. « Cela entraîne généralement plusieurs cycles d’optimisation destinés à adapter le prix, ainsi que des modifications du projet. Nous constatons par ailleurs régulièrement que, faute de temps dans le chef du maître d’ouvrage, le dossier de conception n’est pas assez abouti au moment de la demande de devis initiale, ce qui nécessite généralement plusieurs séries d’ajustement. Nous tentons de gérer proactivement ce type de situations en le signalant à temps à notre équipe de conception et/ou au maître d’ouvrage. En plus des variantes et modifications intervenant en cours d’exécution, la sous-estimation du risque logistique sur les chantiers et alentour peut également entraîner une divergence entre le calcul et le coût final de la construction. »

Les acteurs de l’équipe

« Plusieurs facteurs entraînent fréquemment des décalages entre le calcul et le coût final de la construction. Il y a tout d’abord les modifications du cahier des charges, le maître d’ouvrage se rendant compte trop tard de ce qu’il souhaite vraiment. Il y a ensuite les conditions changeantes du marché, qui font soudainement exploser les prix des matériaux. Les calculateurs peuvent en tenir compte en appliquant un pourcentage de risque en plus d’un pourcentage de profit. Tout dépendra ici de la situation du projet : travaille-t-on au sein d’une équipe de construction qui fait preuve d’empathie et de responsabilité réciproques, ou plutôt sur un terrain de bataille traditionnel où l’on se renvoie constamment la balle et où les avocats ont le dernier mot ? Dans ce dernier cas, le taux de risque sera nettement plus élevé », précise P. Bovens.

« Il faut qu’il règne en amont un bon état d’esprit dans l’équipe complète. Ce n’est qu’après que les logiciels de type ERP, CDE et modélisation BIM peuvent venir en renfort. Lorsqu’on me sollicite pour assister le maître d’ouvrage, je commence toujours par un atelier visant à créer un bon esprit de collégialité et à expliquer les normes et standards en jeu. Dès lors que tout le monde s’est mis d’accord sur la réflexion d’équipe, la suite du projet se déroule généralement bien. Il faut néanmoins constamment jouer le rôle de bon père de famille et veiller à ce que tout le monde joue le jeu. »

Koen Mortelmans

Mike Bogaerts (Buildwise).

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Buildwise
Formation

 « L’enseignement traditionnel accorde trop peu d’attention au métier de calculateur », fait observer Peggy Bovens. « Il pâtit également d’une très mauvaise réputation, qui n’est pas près de disparaître. Il me semble important que l’enseignement adopte la normalisation émanant de l’Agentschap Facilitair Bedrijf et de Buildwise. Il y a par ailleurs certainement aussi de la place pour des parcours de formation alternatifs, adaptés aux besoins et au rythme des groupes cibles spécifiques. Les conditions pratiques pour devenir calculateur ? Une bonne dose de perception spatiale, l’ambition de fouiller dans les dossiers et d’inventer des solutions créatives avec les fournisseurs et sous-traitants et la précision administrative nécessaire pour établir un devis formellement correct. C’est une combinaison de compétences d’ingénierie et de secrétariat au sens le plus large. »


« Nous observons une tendance à l’augmentation des rénovations et reconversions de bâtiments », affirme le responsable du service de calcul d’une grande entreprise de construction générale. « Ces projets sont souvent plus complexes et difficiles à calculer que les projets de construction neuve. Ce sont surtout les reconversions de bureaux en appartements qui ont le vent en poupe. L’accent repose de plus en plus sur la durabilité et l’efficacité énergétique. Ajoutons que les attentes des clients ne correspondent pas toujours à leurs possibilités budgétaires. Cette évolution nous oblige à nous adapter et à nous recycler en permanence. Nous devons recruter des personnes familiarisées aux technologies et méthodes les plus récentes, et leur offrir des perspectives de carrière au sein de notre entreprise. En interne aussi, nous devons nous engager en faveur de la durabilité, comme l’utilisation de panneaux photovoltaïques sur les chantiers et de packs de batterie pour les grues à tour. »

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