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paywall Dilatation du béton : quand les chaussées se soulèvent subitement

Le changement climatique, avec ses périodes de températures extrêmes, a commencé à accélérer la tendance à perméabiliser les sols. Ironiquement, les mêmes phénomènes météorologiques ont également leurs conséquences sur les revêtements que nous souhaitons bel et bien conserver. Sous l’effet de la dilatation, les chaussées en béton, par exemple, peuvent subitement se transformer en dangereux parcours d’obstacles. « La bonne nouvelle, c’est que ce phénomène ne s’est encore jamais produit sur les autoroutes ou les grands axes aménagés au cours des 25 dernières années », précise Luc Rens, ingénieur chez Febelcem, l’organisation professionnelle de l’industrie cimentière belge.

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Les chaussées en béton sont robustes, résistantes à l’usure et nécessitent peu d’entretien. Généralement, elles restent intactes pendant des décennies… jusqu’à ce que, lors d’une période d’extrême chaleur, des fissures et affaissements spectaculaires apparaissent localement sur la chaussée ou la piste cyclable, littéralement sans crier gare. « Le soulèvement des dalles de béton survient brusquement », confirme Luc Rens. « Cela se produit au printemps ou en été, durant les premiers jours de températures très élevées, habituellement l’après-midi, après un long réchauffement du revêtement. Ces soulèvements de dalles de béton entraînent toujours un risque d’accident aigu. Jusqu’à la réparation provisoire ou définitive, l’incident garantit également des problèmes de circulation. »

Quelle en est la cause ?

« Le béton durci est sujet aux mouvements thermiques : il se dilate lorsque la température grimpe et se rétracte lorsqu’il fait plus froid. Une dalle de béton de 10 m posée à une température de 10 °C peut facilement atteindre 40 °C au cours d’une chaude journée d’été et provoquer rapidement une dilatation thermique de 3 mm. Ce phénomène se produit également sur toutes les dalles contiguës. En cas de dilatation, le déplacement provoqué fonctionne « en bloc », mais lorsque la température redescend, les dalles se rétractent séparément, de sorte que l’ensemble ne revient pas toujours à sa position initiale. Lorsque les joints s’encrassent, la dilatation peut s’amplifier par la suite. »

Soulèvement de l’autoroute E314 à Aarschot le 22 juin 2017.

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Pourquoi cela n’entraîne-t-il pas des fissures systématiques ?

« Ce serait de toute façon le cas si la dalle de béton non armé était coulée sans joints. Le béton se fissurerait alors de manière non maîtrisée et aléatoire sous l’influence des différents phénomènes de retrait. Au fil du temps, les fissures s’élargiraient par la dynamique des réchauffements et refroidissements. Les infiltrations d’eau provoqueraient en outre des affaissements qui causeraient des dégâts encore plus importants. Sous l’effet de la charge imposée par la circulation, la dégradation s’accentuerait rapidement. »

« Pour prévenir ces cas de figure, deux concepts importants ont été développés pour l’aménagement des chaussées en béton : les revêtements en dalles de béton et le béton armé continu. Ces deux solutions permettent de parer autrement à l’action naturelle de la dilatation et du retrait. »

Comment procède-t-on pour les dalles de béton ? 

« L’aménagement de voiries en dalles de béton consiste à couler des bandes de béton non armé. Des joints transversaux sont ensuite sciés pour les diviser en dalles de 4 ou 5 mètres de long. Les traits de scie sont réalisés sur au moins un tiers de l’épaisseur du revêtement. En raison du retrait s’opérant au cours des premiers jours, la dalle de béton va continuer à se fissurer de façon contrôlée sous les traits de scie. Les fissures vont donc se localiser intentionnellement au niveau des joints, et nulle part ailleurs. Les joints pourront être scellés par la suite. Pour les chaussées soumises à une grande densité de trafic lourd, des goujons – c.-à-d. des barres métalliques lisses revêtues d’un coating – sont insérés dans les joints afin de répartir les charges du trafic sur les différentes dalles. »

La route régionale N19 entre Westerlo et Herselt a probablement été construite vers 1940. Un soulèvement s’est produit lors d’une période de forte chaleur, en avril 2007.

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Quelle différence avec le béton armé continu ?

« La plus grande différence visuelle réside dans l’absence de joints transversaux. La dilatation et le retrait naturels sont en effet contrôlés par la présence d’une armature longitudinale. Le béton est coulé dans une bande continue sur l’armature qui a été posée au préalable. Cette opération doit se dérouler dans des conditions très sécurisées. La pose de l’armature exige plus de temps que la pose du béton proprement dit. Avant que l’entrepreneur puisse entamer le coulage, l’armature doit être posée sur au moins la longueur de plusieurs productions journalières. Les seuls joints transversaux de ce type de revêtement sont les joints de construction au droit desquels le bétonnage est interrompu, généralement à la fin d’une production journalière. »

« Cela ne veut pas dire qu’il ne peut plus se produire de fissures ; au contraire, ce type de revêtement en béton est justement caractérisé par la présence de fines fissures transversales qui, grâce à l’armature, sont réparties sur l’ensemble du revêtement et restent sous contrôle. Si les travaux sont effectués correctement, l’ouverture reste limitée à une largeur d’environ 0,5 mm, rendant ces fissures imperceptibles au passage de la circulation. »


« La Belgique applique depuis 2012 le principe de l’amorce de fissuration active : des traits de scie courts sont exécutés sur le bord de la dalle en béton afin d’y initier les fissures et d’en assurer une répartition plus homogène. »

Si tout est mis en œuvre pour éviter la fissuration non contrôlée, comment se fait-il que des soulèvements se produisent malgré tout ?

« Le béton est très résistant à la pression, pour autant que la composition du béton et l’épaisseur du béton coulé soient identiques partout au droit des joints de fin de journée. Dans le cas contraire, des forces de compression excentrées peuvent se manifester, entraînant des concentrations de contraintes susceptibles d’affaiblir le béton et, au final, de provoquer le flambage de la dalle de béton. Autrement dit, ce sont des points faibles du revêtement en béton qui sont à l’origine des dégradations. Ils trouvent par exemple leur origine dans un compactage insuffisant du premier ou du dernier béton qui a été coulé au cours de cette journée. Mais les chambres de visite ou autres objets qui doivent être intégrés dans le revêtement peuvent également provoquer des perturbations. »

« Ce point fait l’objet d’une attention particulière pour les pistes cyclables, qui sont construites en dalles de béton. Pour préserver le confort des cyclistes, seuls de minces joints sans scellement sont prévus. Il n’est pas rare non plus de devoir intégrer des taques d’égout dans le revêtement, entraînant un risque accru de soulèvement. Dans l’impossibilité de faire autrement, il importe en tout cas de veiller à ne pas prévoir de taques d’égout à l’endroit du joint. Ajoutons que l’épaisseur limitée d’un revêtement de piste cyclable joue également un rôle néfaste. »

Soulèvement de piste cyclable à Lierre – Les taques d’égout sont souvent intégrées dans le revêtement des pistes cyclables. Il s’agit de points faibles entre les dalles de béton, entraînant un risque accru de soulèvement.

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Comment éviter les soulèvements ?

« Il n’y a plus eu de soulèvements de béton à déplorer sur les axes principaux et les autoroutes aménagés au cours des 25 dernières années grâce à l’amélioration des techniques, des matériaux et des pratiques d’entretien », souligne Luc Rens. « Malheureusement, ce n’est pas parce qu’une chaussée bétonnée n’a pas bougé pendant 30 ans que plus aucun soulèvement ne pourrait se produire. Ces incidents se produisent d’ailleurs sur certaines routes asphaltées, généralement parce que la couche d’asphalte dissimule une chaussée en béton. C’est notamment le cas de l’E314 entre Leuven et Tielt-Winge. Sur ce tronçon d’autoroute datant de 1982, les joints transversaux de fin de journée étaient souvent en mauvais état ; des réparations avaient donc déjà été réalisées avant le recouvrement par de l’asphalte en 2010. La surface d’asphalte noire a encore augmenté l’absorption de chaleur, entraînant un soulèvement effectif en 2017. »

Quelques points d’attention pour réduire drastiquement, voire éliminer tout risque de soulèvement.

  • Les routes aménagées au cours de périodes (estivales) plus chaudes se dilateront moins par la suite et se soulèveront donc moins vite. Ce risque est limité à partir d’une température ambiante de 15 °C.
  • Dans le cas de voiries en dalles de béton non goujonnées, mises en œuvre à une température ambiante inférieure à 15 °C, il est recommandé de prévoir un joint de dilatation à distance régulière, de manière à pouvoir reprendre la dilatation accumulée entre les dalles de béton.
  • Les joints de construction transversaux doivent être réalisés avec le plus grand soin. Le béton doit être de bonne qualité et le compactage revêt une importance cruciale. Pour les dalles de béton, il est possible de scier la dernière partie bétonnée et de l’éliminer pour reprendre le bétonnage de la section suivante.  
  • En principe, les joints de construction transversaux doivent être goujonnés. Grâce à sa surface lisse, le goujon n’adhère pas au béton, de sorte que les mouvements dus à la dilatation et au retrait restent possibles dans le sens de la longueur, empêchant tout soulèvement ou mouvement transversal.
  • Dans le cas du béton armé continu, il est possible d’éviter les joints de construction transversaux plus faibles en travaillant en continu, 24h/24, 7 jours/7. 
  • Si les voiries en béton nécessitent peu d’entretien, il convient toutefois d’effectuer cet entretien correctement et dans les temps. Il concerne essentiellement le scellement des joints transversaux et longitudinaux (entre les bandes de roulage par exemple).
  • En présence de dalles cassées, fissures d’angle, … il convient d’assurer une réparation au plus vite. Les réparations provisoires au moyen d’asphalte constituent des zones de faiblesse : plus compressibles que le béton contigu, elles entraînent des concentrations de contrainte dans le béton résiduel.

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Comment réparer les dégradations dues au soulèvement ?

La réparation des dégradations dues à un soulèvement du revêtement en béton doit toujours être assurée sur toute la largeur de la bande de béton dégradée et sur toute l’épaisseur du revêtement. La zone endommagée doit être retirée proprement à la scie sans abîmer davantage le béton adjacent. La réparation d’un soulèvement à hauteur d’un joint de construction transversal doit se faire sur au moins un mètre de part et d’autre du joint. Les limites de la zone réparée, qui sera toujours rectangulaire, se situeront en outre toujours idéalement à au moins un mètre de la fissure transversale suivante.

Dans le cas d’une réparation de béton armé continu, il est crucial d’assurer la continuité de l’armature, soit par forage et ancrage de nouvelles barres d’armatures, soit par dégagement de l’armature existante.

La réparation de la surface doit ensuite être réalisée par la mise en œuvre d’un béton à prise rapide. Ce travail doit être réalisé en matinée, avant 11 heures, pour permettre au béton d’acquérir une résistance suffisante avant le refroidissement nocturne, sous peine de voir l’armature se détacher et le nouveau joint s’ouvrir. 

Si la réparation doit intervenir sous des températures supérieures à 30°C, il est conseillé de refroidir le béton adjacent des deux côtés en l’arrosant sur une longueur de 50 m, de le recouvrir d’une couche de sable humide ou d’un film réflecteur de chaleur.

Sciage et élimination de la dernière partie du béton coulé sur une chaussée en dalles de béton.

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Joint de construction transversal goujonné

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