Tram de Liège, au-delà de la polémique, zoom sur les défis techniques
Lancé en 2019, le chantier du tram de Liège a beaucoup fait parler de lui en raison du sort qui s’est acharné et des retards qui ont suivi. Tout ceci a quelque peu occulté les défis techniques que Colas et ses partenaires du consortium Tram’Ardent ont réussi à surmonter, défis que nous abordons dans cet article.
Entre les inondations, le COVID19, la pénurie
des profils techniques et moult autres problèmes, le consortium qui a emporté
le marché du tram de Liège en 2019 n'a pas eu beaucoup le temps de souffler.
L’avancement du projet s'en est retrouvé allongé avec tout ce que cela comporte
de négatif: embarras de circulation, courroux des commerçants, difficultés
financières. Tout ceci occulte évidemment les défis techniques que Tram’Ardent
a réussi à surmonter. Il faut dire que construire une ligne de près de 12 km de
long jalonnée de 23 arrêts dans un environnement urbain comme celui de Liège
n'est pas une mince affaire.
Cohabitation du chantier du tram avec les autres
chantiers
Traversée par la Meuse en son milieu et
arrosée par l’Ourthe à hauteur d’Angleur, en amont du centre-ville, Liège est
une ville complexe. L’ouverture du chantier du tram a amené son lot de
contraintes: “Les déviations proposées par le constructeur ne devaient en aucun
cas déboucher sur le chantier d’une autre entreprise. Sinon, elles auraient
encore plus compliqué la mobilité, déjà bien dense aux heures de pointe à
Liège” souligne Anne Gavray d’OTW. Si le chantier réalisé sur le site Val
Benoît à proximité immédiate du chantier du tram n’a pas été gênant, cela n’a
pas été le cas du chantier du déclassement de l’autoroute à Bressoux, ni celui
du pont-barrage de Monsin. “Ici plus qu’ailleurs, la concertation périodique
avec le responsable du chantier, la police, la ville de Liège, et le donneur
d’ordre s’est révélée incontournable. C’est à charge du constructeur
d’introduire toutes les demandes et tous les justificatifs nécessaires”
explique la coordinatrice du projet du Tram de Liège. A cet égard, les réunions
de concertation ont été d’une importance capitale.
Travaux d'infrastructure et traçage du GLO
Autre question anecdotique, et pourtant
cruciale, à laquelle Tram’Ardent a dû répondre: doit-on laisser les poteaux
d'éclairage public en place lorsque de tels travaux d'infrastructures sont
engagés? Ou bien faut-il les retirer? Michel Cisterino, conducteur de travaux
principal des tronçons 5 et 6 du chantier chez Colas: "Outre ces questions
liées aux poteaux d'éclairage et aux arbres, les travaux préparatoires ont
amené nos équipes à faire le nécessaire pour dévier la circulation afin de
pouvoir travailler sans bloquer la mobilité". Ainsi, certaines voiries ont
été élargies afin de les rendre carrossables pour les camions et les engins de
chantier. C’est là l’intérêt du tracé du GLO, le Gabarit Limite d'Obstacle:
"On trace le passage des rails, mais aussi l'emprise du chantier. En même
temps, on peut aussi penser à des éléments comme l’aménagement d’une piste
piétonne avec une attention particulière pour les personnes à mobilité réduite”.
Des détails qui peuvent avoir leur importance, surtout dans un chantier au long
cours comme celui du tram…
Pose des rails et des tabliers préfabriqués
On connaît les avantages du préfabriqué. Dans
le cœur historique de la ville, aux endroits où il était nécessaire de
fonctionner avec des zones pavées pour le tracé du tram, Colas a opéré avec des
dalles préfabriquées pavées conçues dans la ville de Soignies. La plus grande
d’entre elles mesure près de 18 mètres de long pour un poids de 28 tonnes…
Olivier Homerin, directeur général de Préfarails: “Ces dalles préfabriquées
avec rails préinstallés en leur cœur présentent de nombreux avantages. En plus
de respecter l’esthétique du site, elles sont beaucoup plus rapides à
installer. En outre, avec cette configuration, les rails s'usent moins vite et
il est tout à fait possible de procéder à leur remplacement tout en gardant la
surface pavée. Dans ce cas de figure, on est facilement parti pour une durée de
vie de 30 à 40 ans”. Sur d’autres tronçons, on peut être sur d’autres
configurations techniques avec, par exemple, une dalle que l’on appelle “dalle
flottante”. Aurélien Devera, chef de projet voie ferrée chez Colas Rail: “Dans
ce cas, la dalle en béton s’appuie sur des tapis alvéolés dotés d’un effet
masse-ressort”. Une fois la dalle posée, il suffit de mesurer le comportement
de la surface à l’aide d’un tapis anti-vibratile afin de vérifier que tout
fonctionne correctement, le tout en un temps record. Dans la rue Léopold par
exemple, le placement des voies a été l’affaire d’une seule nuit.
Conduites
de gaz radiographiées et savonnées
Dans la Cité Ardente, les conduites sont
omniprésentes, ce qui exige de redoubler d’attention. Situé en bord de Meuse,
le quai Saint-Léonard illustre parfaitement la complexité de coordination
nécessaire à la gestion et au remplacement des impétrants. Patryk Gorlicki,
conducteur de travaux sur site chez Colas: “Dans cette zone, nous travaillons
en coordination avec le GRD RESA (Gestionnaire de Réseau de Distribution) pour
dévier une conduite et pour faire en sorte qu'elle se retrouve dans le futur
sous la voirie de circulation. Cela nécessite une coordination parfaite. Une
fois que Colas a ouvert la tranchée, nous posons le blindage, le lit de pose en
sable pour réceptionner la canalisation. Ensuite, l’entreprise chargée de la
pose entre en action avec la pose des conduites de 14 mètres et la réalisation
des soudures. Une coordination doit être établie avec RESA qui passe
hebdomadairement afin de vérifier les soudures avec des radiographies. Une fois
les radiographies réalisées, chaque soudure est vérifiée au moyen d’un truc
très simple: nous savonnons la soudure avant de mettre sous pression avec 5,5
bars de part et d'autre des conduites reliées. Si des bulles apparaissent, la
soudure est à recommencer…”. Plusieurs entreprises étant amenées à intervenir
successivement, une coordination parfaite est nécessaire afin d’éviter tout
retard. C’est d’une importance capitale car les retards se répercutent en
cascade chez les différents sous-traitants intervenant en aval.
Soudures
alumino-thermiques
Si l’intervention sur les conduites de gaz
passe par une intervention classique, pour la jonction des rails, l’opération
est tout à fait différente. On parle ici en effet de soudure aluminothermique.
Youcef Kherrhoubi, soudeur alumino-thermique chez Colas Rail: “Pour faire une
soudure, on va faire monter la température du rail à une température de 1.200
degrés. Ensuite, on vient injecter directement du métal en fusion à une
température de 2.400 degrés. A l'intérieur d’un creuset, on va placer des
poussières de métal, du zinc, de l'alumine, du corindon, du fer, du magnésium,
bref tous les composants nécessaires pour que la fusion se passe correctement.
Ensuite, on va allumer cette mixture avec une baguette de magnésie. La réaction
chimique va faire qu'entre 17 et 37 secondes, le point de fusion va se créer
dans le creuset. A l'intérieur, une petite pastille en métal va fondre et va
venir s'écouler sur les moules. L'excédent sortira et le métal va s'injecter
directement entre les deux rails”. Reste ensuite à meuler pour arriver à un
résultat parfait avec une tolérance proche de zéro sur le dessus du rail, et
dans la gorge du rail (partie intérieure du rail). Signalons que chaque soudure
est frappée par le numéro du soudeur qui a effectué le boulot. En cas de
problème, l’auteur de la soudure est ainsi directement identifié…
Placement
des LACs
La Ligne Aérienne de Contact, appelée LAC, permet d’amener
l'alimentation électrique à la rame via le pantographe. Sa pose demande elle
aussi une belle dextérité et des précautions particulières. George Deneffe,
chef de projet LAC et stations chez Colas: “Pour le placement, le touret
débitant le câble de cuivre est placé sur un camion capable de circuler sur la
voie. Ensuite, c'est suivi par une nacelle rail-route qui permet aux ouvriers
de venir fixer la LAC de console à console. Dans un premier temps, la LAC est
fixée à une extrémité. Elle est ensuite déroulée et accrochée en suspension
temporaire à toutes les consoles avant de parvenir à la tension nominale qui
atteint tout de même 1,5 tonne au bout du compte. Une fois la LAC posée sur les
différents points d’ancrage, la LAC repose pendant 24 heures. Le cas échéant,
les équipes retendent et l’opération est répétée toutes les 24 heures si
nécessaire”. Une fois tendue, la hauteur de la LAC au niveau des suspensions et
celle au niveau de son milieu de portée doit être limitée à 30 centimètres.
“Ces 30 centimètres sont importants car ils permettent d’assurer un contact
continu entre le pantographe et la LAC. Enfin, chaque ancrage de la LAC est
équipé d’appareils tendeurs qui permettent de tenir compte de la dilatation et
de la contraction de la ligne en fonction de la température” poursuit George
Deneffe.
Bordures
de nez de quai placées au millimètre près
Une autre intervention nécessite elle aussi un travail millimétré. Elle
concerne la pose de ce que l’on appelle les bordures de nez de quai. Mohamed
Serrar, chef de projet station chez Colas: “Les bordures de nez de quai, c'est
ce qui délimite la station et le futur arrêt du tramway. Elles sont
positionnées après la réalisation de la voie ferrée contrairement aux autres
bordures GLO qui sont posées au préalable (...) Pour ces bordures, on a une
précision qui est de l'ordre du millimètre. Il s’agit d’éviter d’une part que
la rame ne vienne frotter la bordure et d’autre part, il faut que la rame soit
suffisamment proche pour permettre l’accès des PMR (Personnes à Mobilité
Réduite) à la rame. Sur un plan esthétique, il y a aussi une autre contrainte:
les joints entre les différentes bordures doivent se positionner au niveau de
ce que l’on appelle les “émergences” comme les poteaux LAC. Il en va de même
pour les totems, les abris, les poteaux d’éclairage, l’idée étant de ne pas voir
de joints dans tous les sens.
Des
sculptures et des bulles sur le chemin du tram
Les travaux préparatoires et le GLO, ce sont aussi les marquages au sol, les
déplacements temporaires d'infrastructures (grandes ou petites). On ne
s'attardera pas sur le cas des bulles à verre qu’il a parfois fallu déplacer de
quelques dizaines de mètres. En revanche, le déplacement d'œuvres d'art
monumentales comme la fontaine de la Place-Saint-Lambert vaut quelques mots
d'explications. Au sein de MB Groupe, le directeur logistique Bernard Coolen a
été chargé de superviser l’opération en mobilisant une grue: “Après avoir
examiné la sculpture monumentale de la fontaine de la place Saint-Lambert, on
s'est rendu compte qu'il y avait juste une couche de béton maigre. Un simple relevage
avec des vérins hydrauliques était suffisant pour pouvoir décoller l'œuvre de
son socle. Après placement des vérins, des bois ont été placés pour caler la
pierre, les vérins ont été redescendus et la sculpture est venue se positionner
en douceur sur les cales en bois.
Ensuite, il a suffi de placer des sangles plates en nylon pour assurer
le levage de la sculpture à l’aide d’une grue téléscopique LTM 1090-4.2
permettant une charge allant jusqu'à 90 tonnes, en évitant bien sûr
l’utilisation de chaînes pour préserver l’intégrité de l'œuvre d’art”.
Faire d’une pierre deux coups
Pour la ville de Liège, le chantier du tram
est aussi l'occasion de rénover l'espace public. Daniel Wathelet, responsable
de la communication pour le tram de Liège: “Au total, on va pouvoir
comptabiliser pas moins de 50 hectares d’espaces publics rénovés le long du
tracé du tram”. Une rénovation qui se fera systématiquement en tenant compte de
l’environnement spécifique dans lequel le chantier a lieu. Daniel Wathelet: “En
centre ville historique, les plateformes qui contiennent les rails seront en
pavés à d'autres endroits elles seront en herbe et à d'autres endroits encore
elles seront en béton”. Et le responsable de la communication d’ajouter qu’une
modulation des coloris sera réalisée en fonction de l’endroit où l’on se
trouve. Le chantier donnera aussi à Liège la possibilité de veiller à une
végétalisation intelligente de l’espace public: “450 arbres présents sur le
tracé du tram ont dûs ou devront être enlevés. Et ces arbres ont été ou seront
remplacés par à peu près le double d'arbres en mettant l’accent sur les espèces
locales et sur des espèces mellifères”. Un plan de verdurisation qui
contribuera par ailleurs à créer des zones d’ombrage, très utiles lors des
canicules du fait de la présence plus marquée d’asphalte et de béton.