Quand l’espace public se monnaye
L'espace public représente dans les sociétés humaines, en particulier urbaines, «l'ensemble des espaces de passage et de rassemblement qui est à l'usage de tous, soit qui n'appartient à personne, soit qui relève du domaine public.» Ça c’est la définition juridique.
L’espace public est donc reconnu comme étant librement accessible à tout un chacun et ne pouvant dès lors être approprié de façon exclusive, durable ou de manière excessivement personnelle par un individu ou un groupe particulier. C’est pourquoi la privatisation pour seulement 1.500 euros pour dix jours de l'un des endroits les plus emblématiques de Gand, a rendu les habitants furieux. Au point qu'ils ont décidé de s'incruster dans la fête.
Mais de quoi s’agit-il?
MG Real Estate (De Paepe Group) souhaitait organiser un walking diner pour célébrer la réouverture d'un centre commercial fraîchement rénové en installant une tente flottante arrimée sur un des pontons de la Graslei, très prisée des jeunes gantois. Selon le journal De Gentenaar, le promoteur immobilier n'aurait payé que 1.415,33 euros pour pouvoir louer l'endroit 10 jours durant et organiser sa fête… Il n'en fallait pas plus pour qu'un mouvement de grogne se propage sur les réseaux sociaux.
Une appropriation qui passe mal
Sous le slogan de "Partycrash: Gand est à nous", ils étaient des centaines à rejoindre la Graslei pour s'incruster à la sauterie, pourtant uniquement accessible à un public trié sur le volet, et manifester à leur façon contre la «commercialisation» du centre-ville. Plutôt diplomates, les organisateurs leur ont offert des bières et des frites en signe d’apaisement, mais ça n’a pas empêché de nombreux citoyens de faire part de leur désapprobation auprès des autorités communales. Pourtant, selon la ville, toutes les procédures ont été respectées à la lettre. De fait, tout le monde est en droit d'introduire ce genre de demande. Et même le tarif, pour le moins compétitif s’agissant d’un tel endroit, serait dans la norme, à en croire le Collège communal.
Ce n'est là qu'un des derniers exemples en date d'une privatisation de plus en plus fréquente des espaces publics. Une tendance qui doit sans doute beaucoup à la situation financière désastreuse de la plupart des communes.
Quand le centre historique de Bruxelles se privatise
On a connu le même phénomène à Bruxelles quand, à l'été 2015, l'espace devant la Bourse a été privatisé pour une fête annonçant Tommorowland. Si tout le quartier a pu profiter de la musique, seuls quelque 400 happy few, en l’occurrence ceux qui avaient déjà leur ticket pour le festival, ont pu rejoindre l'espace cloisonné.
Un peu auparavant, la Grand-Place avait été privatisée pour un concert aussi bling-bling que privé de Lady Gaga et Tony Bennett destiné aux gagnants d'un concours organisé exclusivement pour les clients d'une entreprise. Même la place des palais, à Bruxelles, n’a pas échappé à la privatisation comme ce fut le cas en 2013 quand l'exposition de sculptures de glace Ice Magic squatta la place durant pas moins de deux mois!
Location de l’espace public: une affaire qui roule
Mais il n’y a pas que chez nous que l’espace public se monnaye. La France, par exemple, n'est pas en reste comme en atteste plusieurs exemples de privatisations de lieux publics. Des appropriations parfois franchement outrancières comme la location d'une plage publique des Alpes-Maritimes par un émir saoudien. Autre exemple extrême: celui du couple Kim Kardashian-Kanye West qui ont privatisé le château de Versailles en 2014 pendant 1h30 pour la modique somme (pour eux) de 20.000 euros. Versailles est d’ailleurs un terrain de jeux particulièrement prisé de riches étrangers ou de grandes entreprises qui n’hésitent pas à se l’approprier l’espace de quelques heures. Ce domaine historique qui attire près de 8 millions de touristes chaque année est ainsi privatisé une cinquantaine de fois dans l'année. Mais Versailles est loin d'être le seul joyau de la Ville Lumière à attirer cette manne; c'est même l'un des principaux revenus des musées et monuments du patrimoine parisiens! Le journal le Figaro notait ainsi qu’en "2014, la location d'espaces avait rapporté 1,5 million d'euros de chiffre d'affaires au groupe Paris Musées, qui gère les 14 musées de la capitale parmi lesquels le musée d'Art moderne, le Petit Palais, la maison de Victor Hugo, les catacombes...".