Interview | Circularité, autres formes d’habitat et réglementation plus complexe
Nos éditions précédentes ont déjà largement relayé le débat organisé entre Embuild et Bouwunie. Aujourd’hui, nous publions la troisième et dernière partie de cette discussion entre Niko Demeester et Jean-Pierre Waeytens, respectivement administrateurs délégués d’Embuild et de Bouwunie. Sur la question de la circularité, du besoin de développer d’autres formes d’habitat et de la réglementation, les deux hommes semblaient une fois de plus nourrir une vision et des attentes compatibles.
Interview en duo d’Embuild et Bouwunie : partie III
1. La circularité est indissociablement liée à la construction d’aujourd’hui et de demain
Le secteur de la construction a un rôle important à jouer dans la réalisation des ambitions du Pacte vert. Pour Embuild comme pour Bouwunie, c’est une opportunité à saisir pour faire la différence sur le plan sociétal. Mais cela ne se fera pas sans mal, au contraire : la durabilité et la circularité dans le bâtiment s’accompagnent de nombreux défis.
Exigence d’une approche globale
Niko Demeester entame son argumentation en affirmant que l’enjeu est bien plus large que la simple construction de bâtiments circulaires et la rénovation du patrimoine existant. « C’est également à notre secteur qu’il revient de construire les infrastructures nécessaires à une mobilité durable, d’adapter le réseau de distribution d’énergie, de développer et mettre en œuvre de nouvelles solutions pour la gestion de l’eau… La durabilité est une finalité globale qui exige aussi bien des solutions techniques innovantes qu’un cadre juridique adéquat, de même qu’un changement de mentalité de la part des habitants – le syndrome typique du ‘pas de ça chez moi’ est à déconstruire – mais aussi toute une série de mesures socio-économiques. Il faudra trouver des partenaires pour réaliser des investissements, revoir les fondements de la politique d’octroi des permis et d’aménagement du territoire… » Jean-Pierre Waeytens complète : « Les gens comprennent l’utilité de la transition en matière de construction, mais la nécessité d’un aménagement intercalaire se heurte à un véto massif. Les ordonnances communales compliquent la centralisation des logements en interdisant par exemple les immeubles de grande hauteur. Au niveau fédéral, la TVA sur la démolition d’anciens logements a été fortement entravée par un nombre excessif de mesures restrictives. Quant aux riverains, ils appliquent trop souvent le principe du ‘pas de ça chez moi’ lorsqu’un espace libre dans une ville ou une commune ferait l’objet d’un aménagement intercalaire. »
Réglementation excessive
Niko Demeester estime qu’il faudra quelque 250.000 unités de logement supplémentaires dans les 7 ans à venir pour répondre à l’accroissement démographique. « Seuls les promoteurs immobiliers peuvent se permettre de tels investissements : un particulier ne va pas construire trois maisons d’un seul coup. Il faut par ailleurs que tout cela reste abordable, ce qui ne sera pas une mince affaire – surtout au vu de la flambée des prix des matériaux et des exigences européennes en matière de développement durable. Certaines initiatives des pouvoirs publics méritent toutefois d’être saluées. Citons notamment l’obligation de rénover qui a fait chuter le prix des anciennes maisons. » Jean-Pierre Waeytens : « Malheureusement, la réglementation européenne est parfois excessive. Les investissements obligatoires pour rendre les logements durables/circulaires sont dans certains cas tellement élevés que la période d’amortissement s’étale sur plusieurs décennies. Les autorités doivent être plus cohérentes et surtout plus logiques/raisonnables à cet égard : les gens n’entrevoient pas encore l’utilité de toutes ces règles. »
La circularité doit devenir un modèle économique
Selon Jean-Pierre Waeytens, le Pacte vert nécessitera une longue phase de transition. « Sous peine de voir germer des solutions ridicules qui ne feront qu’augmenter les coûts pour les maîtres d’ouvrage. On ne peut tout de même pas placer 25 conteneurs sur un chantier de rénovation pour se mettre à trier chaque composante des éléments de construction ? Cela ne fonctionne tout simplement pas dans la pratique, surtout au regard des matériaux et des techniques de fixation développés au cours des dernières décennies. » Niko Demeester poursuit : « Il conviendrait de faire de la circularité un modèle économique. Les mesures imposées ne doivent pas seulement engendrer des coûts pour le maître d’ouvrage et les entreprises de construction, mais apporter une valeur ajoutée. Nous demandons au législateur de faire preuve d’une plus grande flexibilité et de soutenir le secteur dans la mise en place des nouveaux modèles d’entreprise nécessaires, mais aussi d’apporter un peu de cohérence dans l’application des matériaux réutilisés. Le béton constitue dans ce cadre un bel exemple, puisqu’il est parfaitement recyclable sous forme de granulats pour la construction de routes. Seulement voilà : les provinces, les régions et les communes émettent des exigences différentes sur ce qui est autorisé ou non, obligeant l’entrepreneur à utiliser d’autres compositions de matériaux recyclés et parfois même d’autres techniques selon le type de route. On peut difficilement parler d’une approche efficace et rentable. »
Le marché de la construction n’est pas prêt pour l’électrification
Dans le cadre du Pacte vert, les gouvernements sont de fervents défenseurs de l’électrification du parc automobile. Cette approche aussi suscite beaucoup de mécontentement parmi les interlocuteurs. « C’est peut-être faisable pour les voitures particulières, mais que fait-on des camionnettes avec remorque ? », interroge Jean-Pierre Waeytens. « Non seulement la lourde batterie vous fait perdre de la capacité de charge, mais en plus vous devez prévoir du temps toutes les quelques centaines de kilomètres pour recharger le véhicule. Les entrepreneurs disposent d’ailleurs rarement d’un budget suffisant pour remplacer leurs véhicules – en parfait état de marche – par des exemplaires électriques. » Niko Demeester : « Il en va d’ailleurs de même pour la requête d’électrifier les engins de chantier. Nous demandons aux autorités de se montrer plus flexibles et de prévoir une période de transition suffisamment importante, ne fût-ce que pour laisser le temps à l’industrie de développer des alternatives électriques qui donnent le change aux modèles conventionnels. Les investissements demandés doivent être économiquement justifiables pour les entreprises, sous peine d’aller droit au mur. Je tiens malgré tout à souligner que nous ne sommes pas contre l’électrification en soi. Au contraire, nous serons heureux de mettre en œuvre toutes les solutions nécessaires à la lutte contre le changement climatique. Seulement, il faut qu’elles soient pratiques et réalisables d’un point de vue budgétaire. »
3. La réglementation devient trop complexe
La législation en matière de construction et de rénovation est devenue un écheveau inextricable du fait de sa fragmentation en règles européennes, fédérales, régionales et locales. En outre, un nombre incalculable de lois sont à ce point datées qu’elles n’ont plus aucune utilité. Une épine dans le pied d’Embuild comme de Bouwunie.
« La législation est trop lourde, trop compliquée, trop abondante et… surtout, une machine à amendes », précise Jean-Pierre Waeytens. « Ce serait déjà un grand pas en avant si chaque nouvelle obligation s’accompagnait de la suppression de deux anciennes. » Niko Demeester : « Nous n’avons pas spécialement de problème avec le nombre de règles en soi. Nous voudrions simplement que l’on supprime les obligations inutiles. Le reste devrait être optimalisé pour mieux coller aux pratiques de construction actuelles et futures. Et de nouveaux cadres s’imposent notamment pour le travail flexible et les formes alternatives d’habitat. Nous espérons que la législature suivante s’attachera davantage à établir des règles favorables aux entreprises. Nous plaidons en outre pour une plus grande clarté entre les différents niveaux : il ne devrait pas y avoir de conflits entre les règles émanant de l’Europe, des États membres, des régions, des provinces et des communes. Une simplification globale de la législation et de l’administration permettrait de faire toute la différence pour maintenir le logement abordable. Car ceux qui penseraient que les prix ont déjà atteint le plafond… eh bien ils n’ont encore rien vu si l’offre de logements ne peut plus s’étendre. Enfin, j’aimerais transmettre le message suivant aux futurs gouvernements : accordez suffisamment d’attention à la construction de logements sociaux et au marché locatif. Et s’il vous plaît, montrez le bon exemple avec le patrimoine public. »