Passe à la maison, j’habite sur la Lune…
Le 21 juillet 1969, l’homme fait ses premiers pas sur la Lune. Un demi-siècle plus tard, l’humanité s’apprête à lancer une nouvelle mission: l’installation d’une première colonie humaine sur notre satellite naturel en 2030. A l’heure où le privé supplante petit à petit les financements publics traditionnels dans la conquête de l’espace, cette mission pourrait même être la première étape d’une «colonisation» plus vaste. Certains rêvent même d’un premier bébé lunaire en 2050.
Un des workshops du récent congrès SB4SC (voir La Chronique n°40 en page 22) avait largement de quoi titiller la curiosité. Son thème: habiter la Lune. Emmanuel Dufrasnes, architecte belge et président de la Commission Recherche à l’Ecole nationale supérieure d’Architecture de Strasbourg (Ensas), a démontré avec brio que cette perspective se rapproche et n’est certainement plus un délire de Professeur Tournesol. Loin des séries de science-fiction, ce projet fait l’objet de multiples recherches dans les universités et centres de recherche spatiale, Nasa en tête.
Milieux extrêmes
D’autres acteurs gravitent également dans ces sphères comme les start-ups ou le secteur privé. Total, par exemple, finance une thèse de doctorat sur le wifi, la 4G et la 5G sur la Lune. L’Université de Stuttgart étudie une structure cinétique déployable sur le sol lunaire. Mieux encore, au croisement entre architecture, technologie, culture et environnement, le réseau scientifique disruptif Arches étudie les architectures en milieux extrêmes comme l’espace et les planètes du système solaire, les océans, les univers sous-marins, la haute montagne, les déserts ou les calottes glaciaires de notre planète. L’extrême est vu ici comme une loupe de la normalité et implique de la R&D avec d’autres métiers (chimistes, astronautes, explorateurs,…). Les chercheurs d’Arches travaillent ainsi sur les conditions de vie sur la Lune, Mars ou Titan.
Pour la Lune par exemple, l'absence d'atmosphère protectrice rend sa surface très dure et très exposée aux températures extrêmes (de -110° à +130°). La Lune est aussi régulièrement bombardée par des météorites. Sa surface est recouverte d'une fine poussière (la régolithe) enrobée par une coquille vitreuse qui la rend très abrasive, mais aussi électrostatique du fait de son exposition aux ondes du rayonnement solaire. Sans oublier que la gravité de la Lune est égale à 1/6e de celle de la terre.
Innovation de rupture
Les futurs colons seront en tout cas confrontés à d’innombrables défis auxquels les chercheurs tentent aujourd’hui de trouver des solutions: vivre en autarcie, produire de l’énergie renouvelable, gérer les déchets, construire durable, etc. «La future station ou habitation lunaire devra être smart, durable et circulaire. Un maximum de tâches seront automatisées ou gérées par une intelligence artificielle», assure Emmanuel Dufrasnes.
Il est vrai aussi que le secteur spatial, avec le développement des satellites notamment, a une solide longueur d’avance en matière de connectivité, les agences comme l’Esa ou la Nasa ayant accès à une foule de données.
On parle aussi d’innovation de rupture, soit le transfert de technologies entre divers milieux et, par voie de conséquence, de transversalité des thématiques. C’est ainsi que le bâtiment est un débouché pour le spatial qui vient piétiner ses plates-bandes avec des moyens autrement plus colossaux. La Nasa par exemple a créé deux institutions de R&D axées sur l’habitat intelligent.
Régolithe
Dans cette foulée, se pose évidemment la question des matériaux de construction «terriens» sur la Lune. A défaut de pouvoir les transporter là-bas, autant se servir sur place. La régolithe, de fins grains de poussière qui se trouvent sur la surface lunaire, est certes abondante, mais difficile à assembler pour former des blocs qu’il faut pouvoir agréger ou coller. De même, les matériaux utilisés devront pouvoir résister aux chutes de météorites, aux rayons cosmiques ou aux différences de températures. Il n’empêche, les recherches sur l’impression 3D de régolithe (du moins avec une sorte d’argile dont le comportement est comparable) semble offrir de belles perspectives pour la construction des futures habitations.
Le sol lunaire est couvert de régolithe, une fine poussière qui pourrait servir de matériau de construction sur place.
Oasis lunaire
Dans la même veine, la Fondation Jacques Rougerie en France a organisé un concours d’architecture dont une des catégories portait sur la conception d’un «village lunaire». Il s’agissait d’imaginer des systèmes d'habitation indépendants de la Terre, autonomes, utilisant les ressources in situ, dans une démarche d’économie circulaire. Ces systèmes en boucle fermée devaient intégrer la régulation de l'atmosphère, la fabrication de nourriture et d'eau, le recyclage des déchets, les équipements indispensables à la vie (exercice, mobilité...).
Le projet d’idée «The Oasis» de l’Egyptien Samer El Sayary, un des lauréats du concours, présente une géométrie circulaire implantée dans une sorte de tunnel de lave offrant un environnement sûr et propre pour les résidents, où aucune poussière ne peut pénétrer à l'intérieur de la colonie, en raison de l'absence d'atmosphère. Toutes les unités d'accès en surface sont équipées de dispositifs d'aspiration, de dépoussiérage et d'élimination des poussières. L’arène intérieure est éclairée par des arbres gonflables pour soutenir l'aspect psychologique des résidents de l'espace, la présence d’arbres ayant prouvé ses bienfaits sur l’humeur des gens.
Une "oasis" lunaire, projet lauréat d'un concours de la Fondation Jacques Rougerie (©Fondation Jacques Rougerie/Samer El Sayary)
Des perspectives… astronomiques
Autant de développements qui ouvrent des perspectives astronomiques, mais aussi des questions passionnantes: à quoi ressemblera la première colonie lunaire? Quels enseignements pourra-t-on tirer de ces recherches pour la construction terrienne de demain? Quelles formes d’habitat et de société? Comment transférer dans un contexte lunaire les techniques de construction, les représentations sociales et les habitudes culturelles de la Terre? Mars et Titan viendront-ils après la Lune? Et si ces recherches ne tiennent finalement pas leurs promesses, elles auront eu le mérite de faire avancer la recherche. Une chose est sûre, l’expression être dans la lune sera à prendre au sens propre.