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Construction

Construire pour les soins : les tendances et l’avenir

L’évolution démographique, les nouvelles obligations légales en matière de construction durable et les changements organisationnels dans le secteur des soins contribueront fortement à façonner les activités de construction du secteur dans un futur proche. Nous avons sondé les attentes de quelques acteurs de premier plan à cet égard.

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Sebastien Adriaensen / CLT-S

« D’ici 2050, le nombre des plus de 50 ans aura doublé en Belgique. Le défi démographique du vieillissement de la population se traduira immanquablement par des besoins accrus en termes d’infrastructures de soins, mais ils ne seront probablement pas comblés de la même façon en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie », annonce d’emblée Philippe Etienne, directeur de communication de la société immobilière Cofinimmo. « Les efforts déployés par les pouvoirs publics pour maintenir les gens plus longtemps chez eux vont dans le bon sens. Mais comment et par qui doivent-ils être financés ? Sans compter qu’il faudra aussi prévoir suffisamment de personnel professionnel disponible pour les soins à domicile. »

« Une grande partie du patrimoine dans lequel sont organisés les soins aux personnes âgées sont vétustes ou nécessitent une rénovation urgente », affirme Johan Staes, administrateur délégué du Vlaams Onafhankelijk Zorgnetwerk (Vlozo), la fédération sectorielle flamande des maisons de repos et organisations de soins privées. « Si la situation est encore satisfaisante dans le secteur ‘commercial’ privé, où les infrastructures ont moins de douze ans en moyenne, de très nombreuses autres maisons de repos sont aujourd’hui abritées dans des bâtiments mis en service il y a plus d’un quart de siècle. La manière dont ils ont été conçus et construits ne répond plus aux normes actuelles en matière d’aménagement, d’agencement et d’efficacité énergétique. Leur aspect aussi est désespérément vieillot. Les bâtiments anciens portent souvent les marques du temps, témoins d’un usage intensif ou d’un entretien insuffisant. Ces bâtiments ont été d’ailleurs trop souvent construits dans une optique clinique des soins, sans accorder suffisamment d’attention au vécu et à l’expérience, dimension pourtant bien présente aujourd’hui. »

« Les infrastructures de soins seront toujours nécessaires, surtout lorsque la vague de vieillissement battra son plein. D’ici 2030, il faudra certainement créer 7.000 unités de logement supplémentaires dans les maisons de repos. Nous attendons également beaucoup des résidences-services qui ont développé une offre suffisamment large de services et se situent dans des quartiers solidaires. Nous pourrions encore manquer de projets immobiliers dans les endroits qui ne sont pas vraiment adaptés aux soins. »

Campus de soins Sint-Jozef à Ekeren.

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Sebastien Adriaensen / CLT-S

Coût

« La procédure traditionnelle d’adjudication basée sur l’offre la moins coûteuse ne cesse de perdre du terrain au profit de formules dans lesquelles les entreprises de construction prennent également en charge le financement initial et l’entretien », indique Geert Verachtert, directeur en stratégie et business development du groupe Van Roey. « Sur une période de 30 ans, les frais d’entretien peuvent atteindre jusqu’à 40% du coût total de la construction. Le TCO, c.-à-d. le coût total d’un bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie, continuera à gagner en importance. Cette évolution est une bonne chose, car les appels d’offres traditionnels n’encourageaient pas à utiliser les matériaux de construction les plus durables, qui coûtaient d’ailleurs généralement plus cher. Si vous le faisiez, votre projet avait de fortes chances d’être exclu de l’appel d’offres. »

Pas de bénéfice sur la composante soins

« Le budget que nous dédions à la construction de structures de soins et d’aide sociale s’élève à environ 800 millions d’euros », précise Hilde Crevits, ministre flamande du bien-être. « Les investissements infrastructurels doivent aboutir à un environnement agréable pour les patients comme pour le personnel, sans mettre en péril l’accessibilité des soins. C’est pourquoi nous sommes très clairs à l’égard des bénéfices réalisés sur les soins : ils sont hors de question dans les structures financées par la communauté. Pour ce qui est des soins résidentiels aux personnes âgées, différents accords ont été conclus et des mesures supplémentaires ont été prises en concertation avec le secteur. Nous allons par exemple instituer en loi l’interdiction de réaliser des bénéfices sur la composante soins. En ce qui concerne l’abordabilité, nous devons également oser réexaminer les normes de surface actuellement en vigueur. »

Johan Staes émet un avis critique. « Aujourd’hui, trop de personnes âgées en demande de soins se voient contraintes de séjourner dans un logement inadapté. Pour le gouvernement flamand, c’est aussi la forme la moins coûteuse de politique dans la mesure où l’infirmière à domicile est une compétence fédérale, financée par le biais de l’Inami. »

Johan Staes

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Vlozo

Une politique de permis adaptée

« Nous pensons qu’une politique préventive qui encourage les Flamands à rester en bonne santé permettrait aux aînés de rester plus longtemps à demeure. Cette politique préventive devrait être suffisamment large et englober une partie de la politique du logement. Les autorités locales pourraient par exemple s’inspirer de l’exemple scandinave en incitant les sexagénaires, par une motivation subtile – le nudge –, à aménager leur logement dans la perspective de leurs vieux jours. Les pouvoirs publics devraient en tenir compte dans leur politique de permis. Je constate que les grands immeubles à appartements situés le long de la côte sont très rarement construits dans une optique de long terme. Les nouveaux appartements de la côte sont-ils suffisamment adaptés aux rollators et fauteuils roulants ? », proteste Johan Staes.

Clusters de soins

« Nous pensons qu’au lieu de cloisonner le fonctionnement des hôpitaux, centres de revalidation, polycliniques, soins de première ligne, pharmacies, etc., il serait préférable de les organiser en clusters de soins », poursuit Philippe Etienne. « Ce système permettrait une grande synergie. Nombreux sont les hôpitaux dans le rouge en Belgique. Les besoins augmentent mais les moyens ne suivent pas toujours. Les clusters de soins présentent aussi des avantages pour les patients, qui seraient ainsi amenés à se familiariser à des soins dont ils n’ont pas encore besoin à ce moment-là mais bien potentiellement plus tard. Cela atténuerait leurs réticences. La mise en commun des connaissances y favoriserait la coopération et le travail en réseau. Ce seraient aussi des lieux propices aux logements à assistance, avec une grande concentration de prestataires de soins prêts à répondre à des besoins divers. »

Hilde Crevits

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cabinet Crevits

Soins à domicile et sur campus

« Les maladies gériatriques de type démence rendent les soins à domicile quasiment impossibles pour un nombre croissant de personnes. D’un autre côté, la solitude représente elle aussi un sérieux défi. Parallèlement aux soins à domicile, certains soins aigus aux patients souffrant de maladies chroniques resteront nécessaires », prévient Etienne. « Les baby-boomers attendront autre chose d’une maison de repos que les pensionnaires actuels : complexes plus petits, maisons de repos intégrées en milieu urbain et dans un tissu social : crèches, écoles, magasins – pour lutter contre la solitude –, mais aussi campus de soins accueillant toutes les infrastructures de soins au même endroit. »

« Nous comprenons que la plupart des gens préfèrent ne jamais devoir déménager vers une maison de repos et que les politiques les rejoignent en partie sur ce point », estime Johan Staes. « Mais on ne pourra jamais comparer un environnement domestique à un cadre de soins spécialisés où des collaborateurs sont présents 24 heures sur 24, ni à un logement adapté à l’âge de son occupant. « Les soins à domicile sont assurément très importants, mais ne doivent pas en devenir sacro-saints pour autant. Le domicile doit être un lieu de confort et de sécurité tant physique qu’émotionnelle. Si ce n’est plus possible, en raison par exemple de troubles physiques combinés à une infrastructure inadaptée ou à une mobilité insuffisante à l’extérieur du domicile, le domicile peut évoluer sournoisement vers une forme très inconfortable d’isolement. »

« Les soins résidentiels pour personnes âgées dépassent en Flandre la simple notion de maisons de repos », fait remarquer Johan Staes. « Il y aussi les résidences-services, les centres de court séjour, les centres de revalidation et les centres de soins de jour. Des concepts innovants d’habitat groupé ainsi que d’autres initiatives résidentielles à petite échelle sont autant d’autres pistes de réflexion de plus en plus explorées. »

Geert Verachtert

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Koen Mortelmans

Réglementation verte européenne

« Les principales tendances ne sont en réalité pas spécifiques au secteur des soins, mais se manifestent dans l’ensemble du domaine de la construction », témoigne Geert Verachtert. « Le plus gros impact est celui du Pacte vert pour l’Europe, qui vise la neutralité climatique à l’horizon 2050, de même que l’étape intermédiaire qui vise à réduire de 55% les émissions de CO2 d’ici 2050. La part des rénovations dans notre travail est appelée à augmenter, notamment du fait des importantes rénovations énergétiques. Parallèlement, de nouvelles questions surgissent. Dès 2025 par exemple, les nouveaux bâtiments ne pourront plus bénéficier du raccordement au gaz naturel, sauf dans quelques cas très spécifiques. Les initiateurs de projets devront alors inclure dans leurs plans un système local de production et de stockage d’énergie, qui requiert davantage que des coûts d’investissement initiaux plus élevés. Ces investissements auront beau être amortis à terme, il faudra néanmoins gérer et entretenir les installations. C’est pourquoi les établissements de soins font de plus en plus souvent appel aux ESCO, ces entreprises qui installent et entretiennent à leurs frais des panneaux solaires ou autres moyens de production d’énergie, et revendent ensuite l’électricité produite à l’établissement de soins. »

Le groupe Van Roey a pris, voici près de 5 ans, la décision stratégique de développer un service ESCO au sein du groupe. « Quelques autres entrepreneurs leur ont emboîté le pas. Seul un nombre restreint d’entreprises de construction possèdent une expertise et une assise financière suffisantes pour s’aventurer sur ce terrain. Les autres ESCO ont généralement été créées à l’initiative du secteur de l’énergie. »

« La part des techniques rogne de plus en plus sur celle du gros-œuvre. Ce phénomène est d’autant plus marqué dans les hôpitaux que la durée de séjour des patients ne cesse de s’écourter et que les plans de construction et de rénovation prévoient moins de chambres de séjour et davantage de locaux médicotechniques. Ces dernières années, le groupe Van Roey a délibérément racheté plusieurs entreprises techniques spécialisées. Nous ne livrons pratiquement que des bâtiments complets et, dans certains cas exceptionnels, uniquement le gros-œuvre. Mais on ne peut pas tout avoir en interne. C’est pourquoi nous continuons à travailler beaucoup avec des sous-traitants. »

Philippe Etienne

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Dries Luyten / Cofinimmo

Durabilité des constructions et des rapports

« En Scandinavie, la loi oblige déjà les bâtiments de plus de 1.000 m² à émettre un maximum de 12 kg de CO2 par m² par an. Ce calcul inclut non seulement les émissions opérationnelles, mais aussi le carbone ‘incorporé’, c.-à-d. la totalité des émissions de carbone associées à la construction et au cycle de vie d’un bâtiment. Ce n’est pas encore le cas en Belgique, mais nous allons dans le même sens. Concrètement, nous devrons utiliser davantage de matériaux locaux, circulaires et biosourcés. Je pense notamment au bois lamellé croisé (CLT en abrégé). Le campus de soins Sint-Jozef, à Ekeren, a été entièrement construit en CLT. Nous avons déjà utilisé ce matériau pour moderniser l’AZ Sint-Jozef », continue Geert Verachtert. Johan Staes salue surtout les avantages de la construction modulaire. « Elle permet de se déplacer facilement à l’intérieur du bâtiment. Mieux : d’aménager des espaces neufs ou supplémentaires en réduisant au minimum les travaux à l’intérieur. »

Vente de bâtiments inadaptables

Une autre obligation européenne, nettement plus rapide à se mettre en place, concerne les rapports de durabilité (ESG, environmental, social & governance). Elle s’applique déjà aux plus grands acteurs. « Cofinimmo pratique activement l’ESG depuis plus de 15 ans, bien avant que ce concept ne se soit généralisé », explique Philippe Etienne. « Nous nous sommes engagés à réduire de 30% par rapport au niveau de 2017 l’intensité énergétique de notre portefeuille immobilier d’ici 2030, en vue d’atteindre 130 kWh/m². Cet objectif a été fixé selon la méthodologie des Science-Based Targets (SBTi). Les efforts visant à limiter à 1,5 °C le réchauffement climatique peuvent ainsi être objectivés. »

« Pour les rapports de durabilité imposés, nous avons accompagné, ces dernières années, plusieurs opérateurs de soins dans leur transition vers les bâtiments durables. Cette démarche implique évidemment des investissements et doit être réaliste, tant pour un investisseur tel que Cofinimmo que pour les cadres du secteur des soins. Un investissement supplémentaire en ESG sera par exemple compensé par un loyer plus élevé ou une période de location plus longue. L’ESG représente d’ores et déjà un aspect essentiel dans l’approbation et le démarrage d’un projet en phase de ‘due diligence’. »

« Nous vérifions par ailleurs en permanence si les bâtiments que nous possédons déjà dans notre portefeuille sont suffisamment à l’épreuve du temps. Nous examinons ce qu’il convient ou non de rénover ou d’adapter. Si ce n’est pas possible, le bâtiment devient incompatible avec notre portefeuille. Au cours des 10 dernières années, en plus de connaître une solide croissance, nous avons vendu pour plus de 250 millions d’euros d’immeubles de soins. Cofinimmo ne possède donc pas de patrimoine ancien. Une grande partie de nos bâtiments n’ont été acquis qu’au cours de ces dernières années. »

Fusions d’hôpitaux

« L’actuelle vague de fusions que connaissent les hôpitaux et qui sont encouragées par les pouvoirs publics ne sont pas une mauvaise chose », estime Geert Verachtert. « Une grande organisation est plus à même de porter un grand projet innovant. Toutefois, même les grands entrepreneurs devront davantage collaborer sous forme d’associations temporaires afin de répartir les risques liés aux contrats de plus grande ampleur. De plus, les fusions donnent parfois lieu à des concentrations, libérant d’anciens campus pour de nouveaux projets de construction. » La réduction croissante de la durée des séjours à l’hôpital multipliera-t-elle les initiatives de construction dans le secteur de la revalidation, comme l’actuel 'hôtel de soins' à Edegem ? « Nous n’avons pas encore reçu de demandes en ce sens, mais nous nous attendons à cette éventualité. »

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