Les sept vies du terril 174 de Sainte-Henriette
En Belgique, les propriétaires d’anciennes friches industrielles négligent souvent un élément essentiel : l'optimisation des ressources. Ce n’est certainement pas le cas de SOCOARC. Cette PME a pu exploiter intelligemment et de manière parfaitement phasée les précieuses ressources du terril 174 de Sainte-Henriette à Morlanwelz : charbon, schiste, sable de schiste, avant d’ouvrir le chapitre d’un développement immobilier à venir.
En Région wallonne, la cartographie officielle réalisée en 2018 recensait pas moins de 543 terrils. Des vestiges du passé industriel de la Wallonie qui mangent littéralement 3.550 hectares. Pour l'heure, nombre de ces sites se sont naturellement transformés en friches herbeuses, en zones de boisement, en pelouses sèches, en mares temporaires… Des changements souvent guidés par la nature, mais parfois également exploités dans une logique économique. A Morlanwelz, c'est le cas du terril 174 Sainte-Henriette, terrain de jeu de la société SOCOARC. Créée en 1948, cette PME a débuté dans le secteur des constructions métalliques et mécaniques. C’est à partir des années ‘70 que l’orientation de l’entreprise a pris un grand tournant. “En 1972, avec le rachat du terril situé au nord-est de Morlanwelz, mon grand-père a en quelque sorte donné le coup d’envoi d’une activité qui a perduré jusqu’à aujourd’hui” débute Frank Valentin, directeur de SOCOARC. Quelques années après le rachat du terril, l’entreprise commence à en exploiter les ressources résiduelles. D’abord les schistes (sous forme de pierres et de criblés). Ensuite, vers 1975, l’entreprise s’engage dans le lavage des schistes en vue de récupérer le charbon destiné aux centrales électriques locales. Plutôt que d’extraire des veines le charbon nécessaire à alimenter l’industrie, SOCOARC a ainsi misé sur la récupération. Une sorte de modèle d’économie circulaire avant l’heure d’une certaine manière.
Valorisation des résidus de charbon
Au début, ces résidus de charbon ont été orientés vers la cimenterie d'Obourg. “Le but de mon grand-père était directement de pouvoir répondre à la demande de ciment et de fournir de la matière pour alimenter la clinkérisation. Entre 1975 et 1978, la demande de charbon au niveau des centrales électriques locales a fortement progressé. Les résidus récupérés ont ainsi alimenté les centrales de Marchienne, de Péronnes-lez-Binche, de Baudour… Plus tard, lorsque ces centrales électriques ont été déclarées obsolètes, nous avons réorienté la distribution vers l’Allemagne et vers la France afin d’alimenter les centrales électriques, les centrales de chauffe, la sidérurgie et la cimenterie”.
De la calorie à la chimie minérale
Dans les années '80, avec le lent déclin du charbon comme source combustible, SOCOARC s’est penchée sur les sables de schiste. Frank Valentin : "Ces sables étaient destinés à ce que j'appelle l'industrie de la terre chaude, c'est-à-dire la tuilerie, la briqueterie et le travail de la céramique en général. Ils étaient incorporés dans la pâte argileuse pour en faire des blocs intérieurs, des Thermoblocs (*) comme on les appelait de manière générique à l'époque. Pendant une quinzaine d'années, nous avons approvisionné toutes les briqueteries installées dans la région de Boom, à Niel, Steendorp, Rumst…"; Ces unités ont ensuite été rachetées par le groupe Wienerberger et SOCOARC a concentré son attention sur la recherche et le développement autour des sables de schiste. L’idée était alors d’affiner le produit en collaboration avec le groupe en Allemagne et en Autriche. Des efforts de R&D pour lesquels Franck Valentin a fait appel aux ressources et aux connaissances du centre Terre et Pierre à Tournai. "Nous avons travaillé la forme géométrique du grain de sable afin de lui conférer une plus grande efficience sur ces blocs intérieurs" souligne le directeur de SOCOARC.
Les sables de schiste comme amendement
Avec l'évolution des attentes de Wienerberger, l'intérêt pour les blocs intérieurs s'est quelque peu tari. Frank Valentin s’est alors engagé dans une autre voie : celle des facultés d’adsorption du sable de schiste. Objectif ? Utiliser ce sable aux propriétés particulières comme amendement pour le sol. Frank Valentin : “Une fois intégré au sol d’une surface cultivée, le sable de schiste disponible sur le site de Sainte-Henriette permet de stocker l'humidité. Les racines restent ainsi en contact avec l’eau et avec les éléments nutritifs nécessaires à la croissance harmonieuse de la plante”. Un produit parfaitement adapté aux défis qui doivent être relevés dans de nombreuses régions confrontées à la sécheresse. C’est d’ailleurs dans ces zones, en Mauritanie et en République Démocratique du Congo (pour n’en citer que deux) que Frank Valentin a concentré ses efforts. Des développements qu’il a en grande partie pu engager grâce aux fonds américains et européens mobilisés dans les zones climatiquement défavorisées afin d’y soutenir le développement de l’agriculture. SOCOARC a ainsi exporté depuis le port d’Anvers ou de Zeebrugge de très nombreux conteneurs remplis de ce fameux sable magique.
Reconversion en zone mixte
Avec l’arrivée de Trump au pouvoir, les pays africains se sont retrouvés sans aides et le volume d‘affaires de SOCOARC a fortement diminué dans ce créneau. A l’exception de quelques marchés qui ont pu se maintenir, l’entreprise a dû remiser ses sables. Pour l’heure, les milliers de m³ déjà disponibles sont stockés sur le site sous la forme d’une impressionnante “petite montagne” en attendant des jours meilleurs. Mais il en faut bien plus pour décourager Frank Valentin. Face au retrait de l’USAID du continent africain, SOCOARC a décidé d’ouvrir une autre page de l’histoire du site : celle de sa reconversion en zone mixte mêlant habitat et entreprises. “Le chiffre de 400 logements a parfois circulé dans la presse, mais ce chiffre n’est qu’une extrapolation de ce que permet le cadre légal wallon par hectare” tient d’emblée à rassurer Frank Valentin. Néanmoins, l’ambition du dirigeant de SOCOARC reste de s’inscrire dans les prescrits de la Région. Depuis quelques années, des outils réglementaires comme le CoDT pour Code du Développement Territorial (mis en place en 2017) et le SDT pour Schéma de Développement du Territoire (mis en place en 2019 et remis à jour en 2024) imposent désormais une utilisation parcimonieuse de chaque m².
Parc photovoltaïque et géothermie
Dans le même registre de l’utilisation rationnelle des ressources, les habitations et les entreprises pourront profiter en partie des 10 MW du potentiel électrique du parc photovoltaïque installé tout récemment par la société Greenenergy au sommet du terril. Et pour réchauffer le tout, le projet tentera de mettre l’accent sur ce que le sous-sol peut encore offrir de mieux. “Des sondages ont été réalisés afin de déterminer s’il était possible de récupérer le gaz des galeries de mines afin de l’exploiter dans le cadre d’un réseau de chaleur. Malheureusement, cette éventualité semble devoir être écartée. Reste en revanche l’opportunité de capter l’eau chaude présente dans le sous-sol de Sainte-Henriette, comme cela se fait déjà à Saint-Ghislain où la géothermie permet d’alimenter de nombreux bâtiments depuis plusieurs décennies” souligne Frank Valentin. Reste aux riverains de la cité de l’enseignement à se laisser séduire par cette ultime et fonctionnelle affectation du site. Et à bien considérer la proximité des très nombreux établissements scolaires situés à proximité du terril, nul doute que SOCOARC fera carton plein après les succès minéraux et organiques engrangés avec le schiste, le sable et le charbon.
(*) Le terme générique Thermobloc ne peut pas être utilisé stricto sensu dans ce contexte de notre article consacré à SOCOARC dans la mesure où il désigne les blocs intérieurs fabriqués par Ploegsteert Group. Le produit analogue fabriqué par Wienerberger auquel SOCOARC a apporté sa matière première travaillée s’appelle quant à lui le Thermobrick.
Situé en périphérie de Tournai, le Centre Terre et Pierre (CTP) est un centre de recherche et développement d’excellence actif dans la valorisation de matières solides, en particulier des minerais, des sous-produits industriels et des déchets post-consommation. Il a été créé en 1995. Ses cinq domaines d'expertise sont le mineral processing, la métallurgie extractive, les matériaux circulaires, les procédés thermiques et les analyses de laboratoire.
En matière de valorisation, une des réalisations les plus singulières de SOCOARC est sans doute d’avoir contribué à l’émergence des magasins Lidl sur notre territoire. Sans le savoir, lorsque nous faisons nos emplettes dans ces supermarchés, nous avons sous nos pieds des amas de schiste tout droit venus du terril 174 de Morlanwelz. Ce minéral utilisé pour combler les fondations d’une trentaine de supermarchés Lidl offre une excellente portance pour les fondations. Sa résistance à la compression est elle aussi très bonne puisqu’elle oscille entre 10 et 100 MPa contre 30 à 45 pour le béton ordinaire. Il évite également les remontées d’humidité.