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Trui Maes à propos des formes de logement alternatives

À la requête de Buildwise, KPMG a identifié l’an dernier les 10 mégatendances qui se dessinaient dans le secteur de la construction. Batichronique les soumet une à une à l’œil critique d’une partie qui a un avis tranché sur la question. En tant que collaboratrice politique de l’asbl Samenhuizen, Trui Maes planche depuis de nombreuses années sur d’autres formes d’habitat. La tendance selon laquelle « les évolutions démographiques forcent le secteur de la construction à réfléchir à des formes (différentes) de logement du futur » aurait dû à son sens se concrétiser beaucoup plus tôt à grande échelle.

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« Il ne faut pas construire plus, mais redistribuer l’espace résidentiel »

Batichronique : Vous êtes depuis de longues années une fervente défenseuse de formes de logement alternatives. Qu’est-ce qui vous a motivée en ce sens ?

Trui Maes : « Pour moi qui suis issue d’une famille nombreuse, le ‘partage’ est la logique même. Pourquoi tout le monde devrait-il avoir sa propre tondeuse, ses propres outils, voire sa propre voiture ? Il s’agit généralement d’objets que nous n’utilisons pas en permanence. Ne vaudrait-il pas mieux regrouper ces achats entre voisins ? Il y a tellement de choses plus agréables auxquelles consacrer son argent. C’est une vision que j’étends assurément à la question du logement. Pourquoi vivons-nous tous comme des ménages individuels, sur notre petit îlot ? Le co-housing, le co-living, l’habitat collectif ou la maison-kangourou – en bref, l’habitat groupé – n’est pas seulement plus rentable tout au long du cycle résidentiel, il peut aussi offrir une réponse durable au maintien d’une forme de logement ’abordable’. Mais c’est aussi ‘vivre avec plus de valeurs’ : c’est plus pratique parce qu’on peut partager beaucoup de choses, c’est social, moins solitaire et plus sûr de vivre ensemble. C’est plus intéressant sur le plan écologique et cela demande moins d’espace (asphalte). Il n’est absolument pas nécessaire de construire davantage pour répondre à l’accroissement de la population et aux tendances démographiques – comme le rétrécissement des ménages et la multiplication des célibataires. Nous devons avant tout redistribuer l’espace résidentiel disponible et mieux l’occuper. »

« La pratique nous montre que l’habitat collectif est moins compliqué que la plupart ne le pensent »

Batichronique : Comment voyez-vous cela concrètement ?

Trui Maes : « Une étude de l’UE révèle que 60% des Belges vivent en ‘sous-occupation’. Ce pourcentage atteint même 75% chez les plus de 65 ans. Cela signifie qu’ils disposent de plus d’espace que celui dont ils ont réellement besoin selon la formule : 1 chambre à coucher par ménage, par couple, par célibataire de plus de 18 ans, par jeune de 12 à 17 ans (2 jeunes en cas de sexe identique) et 1 chambre à coucher pour 2 enfants de moins de 12 ans. Les nouvelles constructions actuelles vont plus généralement dans ce sens, mais nous avons toujours un gigantesque patrimoine existant qui est trop grand pour les ménages moyens. Les ménages dont les enfants ont quitté le foyer disposent souvent d’un espace de vie beaucoup trop grand. Si nous exploitions cet excédent de façon plus judicieuse, tous les intéressés y gagneraient. D’abord, nous pourrions ainsi répondre en grande partie à la pénurie de logements. Ensuite, le logement redeviendrait financièrement abordable puisque les coûts du logement et les investissements seraient partagés. Dans le cas de l’habitat collectif, les résidents plus âgés reçoivent de l’aide à l’entretien de leur maison, en échange de quoi ils sont souvent ravis de s’occuper des enfants de ceux avec qui ils cohabitent. Ensemble, les ménages peuvent disposer d’un plus grand jardin. Il devient possible de vivre plus petit de par l’existence d’espaces communs. La nature aussi y gagne puisqu’il ne faut plus grignoter sur les espaces verts pour créer des capacités de logements supplémentaires. »

Batichronique : Sur papier, cela semble logique, mais n’est-ce pas un gigantesque défi de cohabiter avec des étrangers ?

Trui Maes : « La pratique nous montre que c’est moins compliqué que la plupart ne le pensent. Certes, cela demande un certain état d’esprit et il faut être prêt à mettre de l’eau dans son vin. La plupart des ‘habitants collectifs’ indiquent que ce qu’ils doivent ‘abandonner’ ne pèse pas plus que ce qu’ils reçoivent en retour. Bien entendu, il est conseillé de ne pas se lancer tête baissée dans un tel projet. L’idéal est de faire d’abord plus ample connaissance avec les co-résidents, par exemple en participant à des activités communes ou en séjournant sur place pendant une semaine. C’est parfaitement envisageable dans la mesure où la plupart des co-résidents possèdent une chambre d’amis commune. Nous constatons aussi – surtout dans le cas du co-housing – que ce sont souvent des groupes d’amis qui démarrent ce type de formule de logement. Ce n’est bien sûr jamais un gage de succès, mais cela peut s’avérer plus simple quand tout le monde se connaît déjà bien. »

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Batichronique : Quelle est la différence entre le co-housing, le co-living et l’habitat collectif ?

Trui Maes : « Le ‘co-housing’ est une formule dans laquelle un groupe de personnes investit dans la réaffectation d’un site ou d’un grand immeuble – une ferme, un couvent, une école, un site industriel… – en un lieu de vie de plusieurs unités où chaque ménage habite individuellement tout en partageant des espaces de vie communs, de même qu’un jardin. Il peut également s’agir d’un nouveau bâtiment complet réalisé dans ce même but. Dans la formule du ‘co-living’, il y a moins d’espaces ‘de vie’ communs, mais on partage tout de même le jardin, un atelier ou une buanderie, par exemple. L’important est que les co-résidents prennent toutes les décisions ensemble et gardent la totale (auto-)gestion de leur projet. C’est pourquoi nous différencions le ‘co-living’ de l‘habitat collectif. Dans ce cas, on investit en effet dans une maison de maître ou un grand bâtiment. Les chambres individuelles ou les appartements sont mis en location séparément et les occupants utilisent les équipements communs, comme la cuisine, la salle de bains, la salle de détente… Ou une personne loue un bien et met en location les chambres séparément à des tiers. C’est une forme sophistiquée de location de chambres ‘onéreuse’ qui fait grimper les loyers, car la somme des ‘loyers par chambre’ est un multiple du loyer habituel pour la même habitation. Il s’agit d’un phénomène connu dans les villes, une tendance qui incite les autres propriétaires à demander des loyers plus élevés. Cela dit, de plus en plus d’étudiants (sans domicile) ou de jeunes qui n’ont pas encore fondé de foyer sont prêts à partager la location d’un bien. Ce que nous préconisons avec force depuis longtemps, c’est la ‘cohabitation sous un même toit’ ou l’‘habitat collectif’ sur une base volontaire, où tous les résidents sont liés par un seul contrat (de colocation) et concluent en interne un seul accord ou pacte de colocation. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un accord de cohabitation au quotidien et de partage des coûts et des responsabilités. Un propriétaire-résident peut également accueillir dans son logement une ou plusieurs personnes et conclure un contrat de colocation avec toutes ces personnes. Cette cohabitation peut être un choix temporaire ou plus permanent. »

Batichronique : Cela ne pose-t-il pas de problèmes sur le plan juridique ?

Trui Maes : « En effet, le législateur ne semble pas encore prêt pour l’habitat collectif au sens où l’entend le Code flamand du Logement. Le Codex RO (code flamand de l’aménagement du territoire) régit certes le ‘logement temporaire’ dans des situations particulières et la maison kangourou, que nous définissons comme une forme d’habitat collectif. Le problème, c’est que lorsque des personnes sans lien de parenté partagent une même maison, elles sont considérées comme faisant partie du même ménage. Tant que tous les domiciliés travaillent ou touchent leur pension, il n’y a généralement pas de problème. Mais il suffit que l’un d’eux se retrouve au chômage ou touche un revenu d’intégration, une allocation d’invalidité ou de maladie, une garantie de revenus aux personnes âgées (IGO en Flandre) pour que cette personne (sans lien de parenté) soit considérée comme ‘cohabitante’. Avec à la clé une allocation fortement réduite. Il faut alors prouver que vous êtes célibataire et que vous gérez votre ménage de manière indépendante (arrêt ONEm, Cassation 2017). Il arrive que le CPAS accepte la situation de vie des célibataires ou qu’une solution soit trouvée dans le sous-numérotage de la maison, mais tant que le statut de célibataire ne sera pas reconnu au niveau fédéral, ces cas de figure resteront des initiatives locales peu durables. Une nouvelle coalition suffirait à leur mettre des bâtons dans les roues. De plus, l’habitat collectif reste un thème sensible dans le sens où on l’on suppose à tort qu’il entraînera une diminution du nombre de logements familiaux disponibles, alors qu’il constitue une solution idéale pour les personnes âgées qui souhaitent continuer à vivre dans leur maison en partageant leur espace. Ou pour les célibataires, les jeunes et les starters qui sont à la recherche d’une formule abordable. Prenons l’exemple de Gand, avec ses quelque 15.000 habitants de plus de 65 ans vivant seuls : si 6.000 personnes âgées décidaient de partager une maison à deux ou trois, 3.000 à 4.000 logements se libéreraient. Dans le cas du co-housing, en revanche, nous observons fréquemment des problèmes liés à l’obtention du permis d’environnement suite à des demandes de ‘dérogation’. Pensons à l’habitat plus compact et aux unités de logement plus petites du fait des espaces communs, au nombre réduit de places de parking parce que la voiture est partagée, à l’existence d’un seul raccordement collectif aux services d’utilité publique qui est ensuite partagé en interne. Ou bien la commune oppose son veto parce le groupe veut transformer une grange en une ou plusieurs unités alors qu’elle se trouve en zone ‘agricole’. Ou un groupe qui veut convertir un monastère – ce qui a toujours constitué une forme extrême d’habitat collectif – en co-housing pour 30 ménages, mais ne se voit pas délivrer de permis parce que le monastère se trouve dans une ‘zone de parc’. »

« Nous voyons qu’un grand nombre d’architectes et d’entrepreneurs ne sont pas encore préparés à de tels projets »

Batichronique : Est-ce pour cette raison que les formes de logement alternatives ne parviennent pas vraiment à percer ?

Trui Maes : « Je ne dirais pas qu’elles ne parviennent pas à percer, car les projets se multiplient et, avec la maison kangourou, l’habitat collectif a particulièrement le vent en poupe. À Gand, par exemple, nous assistons à une augmentation 7 fois plus rapide que la moyenne des nouvelles domiciliations. Diverses enquêtes révèlent d’ailleurs que 20 à 30% de la population est intéressée par l’habitat collectif ou par une forme plus ou moins poussée de partage de l’espace de vie. Cela dit, je dois bien admettre qu’il y a en effet quelques obstacles. Les cadres juridiques existants – aménagement du territoire, logement, énergie et bien-être – forment encore une barrière et ne s’alignent pas de manière à faciliter suffisamment l’habitat collectif. Les propriétaires qui décident de prévoir des sanitaires limités à chaque étage ‘pour la commodité’ des colocataires, voient leur demande rejetée parce que les fonctionnaires considèrent qu’il s’agit d’une ‘division’ au sens du Codex RO. Honnêtement : en quoi est-il différent de vivre dans une habitation de plus d’une salle de bains, que l’on soit une famille nombreuse de 3 ou 4 enfants en pleine croissance, ou 4 à 5 adultes vivant sous le même toit ? Pour les projets de co-housing, il faut souvent passer par un délai incroyablement long avant l’approbation du permis de bâtir, or, le temps c’est de l’argent, pour ces ménages-là aussi. Avec pour résultat la rétractation éventuelle de participants en cours de route et l’arrivée de nouvelles personnes, ce qui peut mettre en péril l’investissement en cours. La décision de vivre ensemble, même entre amis, n’est pas non plus évidente. Il faut être prêt à se mettre d’accord sur tout. Ce n’est pas donné à tout le monde, mais cela peut s’apprendre. Nous voyons aussi que bon nombre d’architectes et entrepreneurs ne sont pas encore préparés à de tels projets. Au lieu d’un seul maître d’ouvrage, ils doivent subitement tenir compte d’un groupe de personnes, ce qui nécessite malgré tout une approche différente pour toutes les parties. C’est pourquoi nous plaidons pour que la conception et la réalisation émanent d’une ‘équipe de construction’ composée d’un architecte, de techniciens et d’(un) entrepreneur(s), laquelle communiquerait avec une ‘délégation’ restreinte du groupe résidentiel. Armée des décisions du groupe, cette délégation assurerait le suivi du chantier. »

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Batichronique : Les promoteurs immobiliers pourraient-ils aider les formes de logement alternatives à percer ?

Trui Maes : « Certainement, s’ils s’attirent des candidats co-résidents dès la phase de conception, ou réservent une partie de leur terrain ou projet au co-housing. Ils possèdent en effet l’expertise nécessaire pour développer de (plus) grands projets ou réaffecter des sites, et disposent en général aussi (plus facilement) de terrains. Malheureusement, ils souhaitent pour la plupart obtenir la plus-value sur le terrain et le même prix de vente/la même marge bénéficiaire que pour un projet classique. C’est illogique, car ils sont assurés de vendre le complexe entier si le groupe veut acheter le projet dans son intégralité. Ils économisent donc sur le marketing. Pire : les promoteurs préfèrent s’en tenir aux ventes individuelles, au contrôle de leurs propres projets, ou veulent limiter l’espace commun, ce qui va évidemment à l’encontre du concept de co-housing. C’est pourquoi nous pensons qu’une coopérative d’habitation – qui assume le rôle de promoteur et facture le coût réel – peut faire la différence. La coopérative d’habitation est propriétaire des logements, les habitants ou les investisseurs détiennent des parts, le capital de la coopérative. Ils prennent part aux décisions de l’assemblée générale. Les coopérateurs sont ‘copropriétaires’ du patrimoine et participent aux décisions. En tant qu’habitants d’une coopérative, ils bénéficient d’une réduction sur le loyer pour leur droit d’habiter à hauteur de leur participation au capital. Une société de logement social, qui bénéficie d’ailleurs d’une TVA réduite, pourrait également jouer ce rôle de promoteur ou de maître d’ouvrage pour ensuite louer ou vendre les unités d’habitation au groupe. Le réseau de Gent Samen Solidair, par exemple, a réuni suffisamment de fonds pour un logement d’urgence dans le projet Bellefleur, lauréat du prix d’architecture gantoise 2024. Un autre bel exemple est celui de WBVG.nl, une association de logement social qui choisit de ne construire que pour des communautés résidentielles ; il s’agit à ce jour de projets de co-housing et de co-living qui varient de quelques unités à 30 unités. Pour l’habitat collectif et les maisons kangourous, nous pensons que les propriétaires-occupants qui vivent en sous-occupation et offrent des espaces à des tiers pour la location privée sans but lucratif auraient un rôle à jouer, mais que le secteur locatif social est aussi bien placé pour le faire. Nous pensons aux locataires sociaux qui occupent un espace trop grand lorsque les enfants sont partis. Que faire : transplanter les vieux arbres et les obliger à déménager ? Ou facturer 50 € de loyer supplémentaire pour chaque pièce excédentaire, comme l’impose une mesure flamande introduite récemment ? Un secteur locatif qui se veut abordable ferait mieux de sensibiliser les personnes vivant seules et de faciliter l’habitat collectif à ceux qui veulent aider les candidats intéressés sur la liste d’attente à trouver un logement. L’expérience mérite d’être tentée. »

Batichronique : Quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs ?

Trui Maes : « Il y a de fortes chances que les candidats au co-housing voudront retrousser leurs manches (pour économiser des heures de travail), prendre en charge certains aspects de la mise en œuvre et gérer le budget de façon très rigoureuse. La communication transparente avec le groupe de construction est cruciale dès la phase initiale du développement et de l’exécution. D’où notre suggestion d’organiser la mise en œuvre du projet, ainsi que sa conception, en tant qu’équipe de construction. Au cours du chantier, des accords très clairs et une coordination minutieuse resteront essentiels à la réussite du projet. En tant qu’entrepreneur principal, vous devrez également prendre les mesures de sécurité nécessaires pour permettre au groupe de construction d’exécuter les travaux choisis en toute sécurité et dans les bonnes conditions. Vous devrez aussi en contrôler la qualité, puisque c’est à vous qu’incombe la responsabilité finale. En contrepartie, vous accumulerez de l’expérience, vous tirerez beaucoup de satisfaction d’une telle collaboration et chaque co-housing sera une nouvelle carte de visite pour les missions suivantes de la même veine. Le secteur de la construction devrait sans doute mettre en commun ses trucs et astuces avec l’asbl Samenhuizen et quelques groupes d’habitat expérimentés si l’on veut promouvoir l’habitat collectif à l’avenir. J’aimerais conclure en disant que la moitié des mégatendances évoquées dans le rapport de KPMG peuvent également favoriser, voire même contribuer aux formes de logement alternatives. Outre l’évolution démographique et l’intensification de la collaboration avec les équipes de construction, nous voyons également des avantages à une conception et une construction plus orientées vers le client, à une industrialisation axée sur des constructions de groupe plus abordables, et à la forte contribution de l’habitat alternatif aux objectifs climatiques. »


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