Les experts à propos de la numérisation du bâtiment
«Les processus de travail et la collaboration sont cruciaux dans le BIM. Pas le modèle 3D.» Le BIM, ce modèle de collaboration numérique qui relie virtuellement tous les partenaires de la construction, provoque une petite révolution dans le secteur. Quels sont les obstacles? Et les opportunités? Jusqu’où peut aller la numérisation? A l’initiative de Bouwkroniek/La Chronique et Orange Belgium, nous avons réuni plusieurs experts autour de la table pour faire le point de la situation.
La numérisation est source de disruption dans de nombreux secteurs. Qu’en est-il dans le secteur du bâtiment? Comment gérez-vous ces évolutions? Quel impact la numérisation a-t-elle sur votre travail?
HB: Je constate qu’elle entraîne un glissement des tâches. L’automatisation soulage le travail des chefs de chantier et de projet que nous pouvons dès lors impliquer dans d’autres projets. Les évolutions vont également marquer le domaine du calcul. Nous pouvons déduire des quantités à partir de modèles et devons donc vérifier les modèles plutôt que de tout recalculer. En résumé, BIM joue un rôle clé dans notre travail de préparation.
RDS: Je suis d’accord, mais le glissement des tâches ne concerne pas toujours les mêmes personnes. Idéalement, le collaborateur suit un recyclage, mais on constate que cela ne fonctionne pas toujours. De nouvelles fonctions voient le jour, d’autres disparaissent. C’est une question de complémentarité à notre sens. Nous voulons certes conserver l’expertise et l’expérience, mais nous les combinons aux compétences numériques d’un(e) collaborateur/trice (généralement plus jeune).
RC: Je ne suis pas d’accord pour dire que les gens ne savent pas manier les outils. Selon moi, c’est à l’entreprise de leur apprendre à les utiliser. C’est là que le bât blesse souvent aujourd’hui: le collaborateur reçoit un outil numérique pour accomplir davantage de tâches. Cela représente une charge supplémentaire, et c’est l’échec.
EV: Il est important d’expliquer aux gens pourquoi ils doivent utiliser de nouveaux outils. Leur préciser en quoi ils sont utiles est tout autre chose, que se borner à leur dire ce qu’ils doivent en faire. Il faut rappeler qu’ils servent non pas à les contrôler, mais à procéder aux calculs de vérification. Les gens peuvent comprendre cela.
RDS: J’ajouterais que de par sa spécificité, le BIM entre en tension avec l’IT sur certains points, d’où cette question récurrente: qui prend le lead? La nouvelle concertation doit encore prendre forme.
Jusqu’où va la numérisation? Sera-t-il encore bien nécessaire de commander les machines?
YA: Nous utilisons des machines capables de travailler sans chauffeur. Mais elles se révèlent surtout utiles dans les mines, par exemple, où le travail est très répétitif. Dans les travaux d’infrastructures que nous assurons, l’ouvrier restera toujours derrière le levier de commande, pour la simple raison qu’il y a des câblages dans le sol, parce que nous trébuchons sur des obstacles…
RC: A terme, chaque tâche pourra être automatisée, car tous les incidents possibles seront justement pris en compte. Est-ce un problème pour autant? L’avènement des logiciels de traitement de texte a-t-il entraîné des pertes d’emploi? Sûrement, mais il a aussi créé de nouveaux jobs. Il en va de même dans notre secteur. Notre département IT est assez imposant…
Existe-t-il déjà des systèmes auto-apprenants?
RC: Nous collaborons à ce niveau avec une spin-off de l’Université de Bruxelles. Les modèles BIM se prêtent à merveille à l’application de l’intelligence artificielle. Les données sont innombrables et, qui plus est, pas trop complexes.
HB: Il existe des systèmes qui centralisent toutes les photos de chantier et détectent les anomalies logicielles. L’ordinateur tire les leçons du passé semblable à, par exemple, la reconnaissance faciale d’Apple.
Un mot à présent sur la fonction de la plupart d’entre vous: celle de BIM manager. Quelles compétences requiert cette toute nouvelle fonction, et où les trouvez-vous?
PDK: J’ai suivi à l’Université de Gand une formation spéciale à cet effet. Il faut être polyvalent. En même temps, je constate que le BIM entraîne la naissance de fonctions spécifiques, comme celle de process manager, tant le domaine est vaste, justement.
Pour ce qui est de trouver des collaborateurs, nous cherchons tous dans le même pôle. Il faut multiplier les recyclages. Les écoles devraient y prêter davantage attention.
RDS: J’ai trouvé mon employeur et par chance, il était déjà convaincu de l’utilité du BIM. Mais la réalité est tout autre sur le terrain. Les collaborateurs sont encore très conservateurs et y voient plutôt une menace qu’une solution à leur problème.
Cela dit, lorsqu’une personne aborde le thème du BIM avec moi, j’aime lui demander de quel BIM elle parle. Il y a tellement de variations sur ce terme. Pour la plupart, il s’agit de créer un modèle 3D, or, cela dépasse de loin cette seule compétence. Le BIM est une affaire de processus de travail et de collaboration. Comment éviter les frais d’échec? C’est pourquoi il est très pratique de faire un modèle 3D, mais sans plus.
Y a-t-il encore un frein à l’introduction du BIM?
RDS: Le carcan juridique. Nous détenons des responsabilités. Or, celles-ci ont tendance à s’estomper lorsque nous collaborons dans un modèle BIM. A quelles conséquences juridiques s’expose-t-on si chaque partenaire introduit sa part de données dans le modèle? Difficile d’en discuter avec les différents partenaires de la construction. Le modèle ne peut en effet avoir qu’un seul propriétaire…
Quel regard porte «Orange» sur ces évolutions?
VC: De par notre expérience, nous pouvons confirmer que le secteur de la construction est en pleine transformation. L’implémentation du BIM joue à cet égard un rôle majeur. Mais il s’agit d’abord et avant tout de rechercher une nouvelle méthode de travail. Comment numériser efficacement les processus de travail? Tout cela n’est évidemment pas sans conséquences sur la connectivité. Travailler en BIM exige par exemple une énorme largeur de bande. Sur les chantiers aussi, nous voyons ce besoin s’accentuer. Je songe par exemple à la consultation d’applications spécifiquement axées sur la gestion de projets, à la vidéosurveillance en temps réel sur le chantier ou à l’envoi d’une série de photos de chantier en HD.
«Orange» propose des solutions qui répondent à ces besoins, comme le routeur 4G/VDSL pour la baraque de chantier ou les abonnements de données adaptés aux travailleurs.
Le secteur est donc certainement en mutation, même s’il convient de nuancer la chose. Par rapport à d’autres secteurs, la construction reste plutôt traditionnelle. Il y a donc là de belles opportunités à saisir pour les pionniers.
YA: C’est exact. Et c’est tant mieux. Il est encore temps pour nous de prendre le train en marche, tout en nous inspirant d’autres secteurs qui ont déjà fait le pas.
Orange Belgium
Avenue du Bourget 3
1140 Evere
business.orange.be/construction
Table ronde sur la numérisation dans le secteur du bâtiment
Les opinions relayées dans cet article ont été récoltées à l’occasion d’une table ronde organisée par Bouwkroniek & La Chronique à l’initiative d’Orange. Les participants se sont entretenus sur divers sujets liés à la transformation numérique.
Ont pris part à cette table ronde:
- Yves Aertssen, co-CEO chez Aertssen (YA)
- Hannes Bernaets, BIM Manager chez Dethier (HB)
- Robin Collard, BIM Implementation Manager chez BAM Contractors (RC)
- Véronique Cupers, Key Account Manager chez Orange (VC)
- Patrick De Kinder, BIM Manager chez Van Laere (PDK)
- Rudy De Smedt, BIM Manager chez Democo (RDS)
- Françoise Genicot, Rédactrice en chef de La Chronique
- Johan Lambrechts, Rédacteur en chef de Bouwkroniek
- Gert Pauwels, IoT & M2M Sales & Marketing Manager chez Orange (GP)
- Emmanuel Vandeweghe, IT Manager chez Willy Naessens Group (EV)